Une comédie des erreurs 1943-1956. Souvenirs et réflexions sur une étape de la construction européenne
La Seconde Guerre mondiale s’achève. L’Organisation des nations unies (ONU) va remplacer la Société des nations (SDN). Des traités vont se conclure avec les satellites de l’Allemagne et celle-ci sera occupée par les quatre grandes puissances. Déjà la guerre froide se profile. C’est dans ce contexte que se posera, d’une façon toujours plus lancinante, le problème de l’Europe. De celle-ci, les contours sont incertains. On sait seulement que le système diplomatique né de la guerre ne durera pas et que l’Europe, prise entre les deux géants victorieux, devra s’organiser et s’unir. Mais quelle structure donner à l’Europe occidentale (puisqu’il apparaît que c’est de celle-ci seulement qu’il s’agira).
Y aura-t-il une Europe confédérale (une Europe des patries en somme) ou une Europe fédérale, supranationale et intégrée ? Y aura-t-il une simple union économique ? Jusqu’où iront les abandons de souveraineté ? Dans la défense de cette Europe, quelle sera la place de l’Allemagne ? Ce sont ces questions qui se posent, toutes d’une extrême gravité tant pour la France, qui redoute une prédominance allemande, que pour l’Angleterre, plus ouverte que les autres sur le grand large et peu favorable à tout abandon statutaire de souveraineté.
La période cruciale de recherche des solutions que nous relate René Massigli (qui fut commissaire aux Affaires étrangères du Comité français de la libération nationale, puis ambassadeur à Londres avant de finir sa carrière comme secrétaire général du Quai d’Orsay) est pleine de tâtonnements. Au terme de cette période, le Traité de Rome optera finalement pour une petite Europe à six, dont la Grande-Bretagne ne fera pas partie et qui ne sera pas non plus l’Europe supranationale et militairement intégrée dont rêvaient certains idéologues.
Du Traité de Dunkerque au Pacte de Bruxelles, du Conseil de l’Europe (CE) au plan Schuman et à la CECA (Communauté européenne du charbon et de l'acier), de la CED (Communauté européenne de défense) à l’Union de l’Europe Occidentale (UEO), René Massigli a pris part ou s’est intéressé de près à toutes les négociations et à tous les développements. Il les a vécus intensément. Il nous fait très bien comprendre les raisons de sa sévérité pour ceux qui, d’emblée, ont entendu rejeter la Grande-Bretagne de l’Europe, il nous amène à déplorer avec lui le Traité de la CED qu’on a voulu à la légère imposer à la France, en bref nous refermons son livre persuadés qu’il s’est bien agi dans toute cette affaire, et d’un bout à l’autre, d’une véritable comédie des erreurs.
Cependant le scepticisme hostile de Massigli à l’égard du Traité de Rome ne nous paraît pas entièrement fondé puisqu’après tout l’Europe à six n’est pas politiquement intégrée, que le Traité n’a pas été une mauvaise affaire pour la France qui a su redresser son économie en 1958 et qu’il ne prête pas, en outre, aux reproches de technocratie et de synarchie que l’on adressait à la CECA. Quant à l’Angleterre n’était-elle pas le bateau le plus lent du convoi « Europe » ? Quoi qu’il en soit, après bien des péripéties, la Grande-Bretagne fait aujourd’hui partie de la Communauté économique européenne (CEE) mais, pour autant, la satisfaction de René Massigli est-elle sans mélange… ?
La « Comédie des erreurs » constitue un appoint indispensable à l’histoire de la genèse de l’Europe. Très dense, le livre analyse avec acuité le comportement du général de Gaulle, de Mendès-France, de Eden, du vieux Churchill, de Vincent Auriol, toujours attentif aux dépêches de Londres, mais aussi de René Pleven, de Robert Schuman, de Jean Monnet, de Spaak et d’autres témoins de l’affaire européenne. ♦