Mémoires
Huit cents pages sur la vie, la carrière, les heurs et malheurs de Richard Nixon, exprésident des États-Unis, constituent une tentation dont il sera intéressant de savoir combien de lecteurs ne lui résisteront pas. Cette publication en français un mois après la sortie de l’autobiographie aux États-Unis, dans une traduction plus qu’honorable, constitue une performance technique qu’il faut saluer.
Que trouvera le lecteur dans cet ouvrage ? Ni anecdotes croustillantes, ni réflexion historique, ni révélations fracassantes, ni analyse politique. Mais, en un style plus clair et précis que l’on n’eut pu s’y attendre, procédant par phrases courtes mais ne nous épargnant, hélas, aucun détail. Richard Nixon raconte sa vie. Le premier tiers va des années de formation à l’accession à la présidence. On y apprend peu de choses nouvelles et l’ennui s’accroît avec la description, minutieuse à l’excès, des multiples campagnes électorales de l’auteur. Le second tiers est consacré à la politique étrangère présidentielle, que M. Nixon estime devoir être ce qui restera de sa présidence, sa grande gloire personnelle. Cette partie est probablement la plus intéressante du livre – et la plus révélatrice de l’auteur. M. Nixon y esquisse des portraits parfois injustes – M. Kissinger n’est pas toujours gâté, qui est décrit comme une personnalité colérique et grossière – mais vivants et colorés. L’admiration de l’ancien président pour Mao Tsé-Toung transparaît avec éclat. Mais si le style est, en ces occasions, suffisamment vif pour retenir l’attention, l’ensemble demeure un peu terne et, là encore, parsemé de détails dont l’intérêt échappe au lecteur (il a fallu trois minutes et demi de télévision pour annoncer le voyage en Chine…). Les pages sur le Vietnam frappent par la dureté qui régnait dans le camp américain : il fallait parvenir à mettre l’adversaire à genoux. La décision de reprendre les bombardements à la veille de Noël 1972 fut peut-être « la plus difficile de toute la guerre » : mais on était très loin des promesses de négociation des débuts du règne.
La troisième partie concerne le Watergate. C’est peut-être là que l’on attendait le plus ce qu’en avait à dire l’auteur. Celui-ci n’a pas un mot de regret quant à son rôle dans un scandale qui ébranla les fondements mêmes du régime américain. Mais s’il ne se reconnaît aucune culpabilité dans cette affaire, il admet avoir été un « complice » plus compromis qu’il ne l’avait jamais dit. Il insiste surtout sur l’erreur politique qu’il commit en ne voyant dans toute l’affaire qu’un problème de relations publiques mais n’esquisse aucune analyse de ce que représente le Watergate, au-delà des personnes directement concernées, dans le fonctionnement et les mœurs politiques américains. Seule révélation véritable : les raisons pour lesquelles M. Nixon a gardé les fameuses bandes magnétiques. D’une part, il ne croyait pas que leur existence serait jamais révélée et, d’autre part, il voulait se prémunir, garder une « assurance », contre ceux de ses adjoints qui rejoindraient le camp de l’ennemi. Au total, ce livre trop long et trop détaillé laisse un sentiment de frustration : on regrette que M. Nixon ait été incapable de dépasser son besoin d’autojustification et ses vieilles obsessions (sa méfiance à l’égard de la presse demeure dans toute son ampleur) pour faire l’histoire « vraie » (trop d’omissions et de biais pris par rapport à la réalité sont repérables par le lecteur) de sa présidence. En dernière analyse, Richard Nixon, comme beaucoup d’hommes politiques, nous donne là des mémoires qui ne sont pas sans intérêt mais dont la perspective critique est presque totalement absente. ♦