L’Angle de l’Asie
Paul Mus, bien préparé par sa formation de philosophe, de sociologue et d’orientaliste, fut un témoin et un « érudit engagé » dans les événements indochinois pendant et après la deuxième guerre mondiale. L’ouvrage qui nous est proposé aujourd’hui est un recueil de textes qu’on ne peut éviter de rapprocher de son œuvre politique Vietnam, sociologie d’une guerre (Seuil).
L’actualité, la poursuite de la rivalité khméro-vietnamienne dans laquelle l’influence chinoise est fortement ressentie, justifie à elle seule l’intérêt à porter à ces écrits. Les combats récents devraient mettre un terme à cette croyance selon laquelle il suffirait d’établir dans la zone une nouvelle communauté idéologique pour qu’aussitôt la paix s’instaure. Dès lors l’analyse particulière du Vietnam présentée par Paul Mus, à travers les faits de culture et les religions, mérite toute notre attention.
L’auteur, dans une série de témoignages (celui notamment de son expérience personnelle du 9 mai 1945) et à travers les réflexions que suscitent ses connaissances de la société vietnamienne, fait preuve d’une grande lucidité face aux événements de l’époque. Il explique ainsi les situations passées (par exemple la valeur des échanges en milieu traditionnel) ou l’évolution régionale, « le mécanisme de ces surprenantes mutations, si vite admises et qui ne se réalisent qu’en raison, justement, de cette facilité à les accepter ». Et ces analyses permettent de prolonger la réflexion jusqu’aux situations présentes. Elles favorisent grandement la compréhension des personnalités propres et parfois opposées, bien que se référant à un même système, des nations indochinoises. Elles expliquent la poursuite d’un système identique avec étiquette marxiste.
C’est surtout à la Chine, fait remarquer Paul Mus, que le Vietnam doit d’avoir acquis la force de se défendre face à un puissant voisin. Il note en particulier « l’étonnante vitalité de ce Vietnam », manifestée sur deux fronts, à la fois pour se maintenir, envers et contre toute vraisemblance historique étant donné les forces en présence, contre l’écrasant poids de la Chine et, conjointement, pour s’imposer à de redoutables et belliqueux adversaires sur sa propre « route du Sud », une route qu’il a, en ce qui le concernait, barrée à ses conquérants temporaires, après mille ans passés à leur résister intérieurement,
Le témoignage et les écrits de Paul Mus, universitaire ayant participé à l’action, sont saisissants de profondeur et sa réflexion et ses remarques sur ces sociétés situées à « l’angle de l’Asie » nous aident à mieux les comprendre. Les membres de l’École française d’Extrême-Orient se sont tournés habituellement vers le passé de ce continent, soulignons donc ici l’actualité et l’intérêt de ces études pour une meilleure compréhension des problèmes indochinois présents et futurs. ♦