Jean Hus, hérétique et rebelle
Le livre de Richard Friedenthal, traduit de l’allemand par Denise Meunier, se veut une biographie du Tchèque Jean Mus, hérétique et rebelle. En fait, l’auteur va plus loin. Il nous montre l’effacement des idéaux du Moyen-Âge devant les principes qui régiront la Renaissance.
Jean Hus est né vers 1370 à Husinec en Bohême, qui est terre d’Empire. L’Europe déclinante connaît alors une de ces crises spirituelles qui sont toujours génératrices de troubles politiques et sociaux. L’autorité pontificale éclatante dans les siècles précédents est battue en brèche par les nationalismes naissants. De nombreux clercs s’élèvent contre les vices et les abus de l’Église dont la richesse et les mœurs sont loin d’être en conformité avec l’idéal évangélique. L’unité elle-même est menacée.
Depuis 1309, date où elle s’est installée en Avignon, la papauté a perdu de son audience. En 1377, Grégoire XI retourne en Italie. À sa mort, en 1378, deux papes sont élus : Urbain VI à Rome, Clément VII à Agnani : ce dernier s’installant en Avignon. C’est le Grand Schisme auquel le Concile de Constance, réuni à la demande de l’empereur Sigismond, mettra fin en 1417. Jean Hus vit intensément cette période d’anarchie dans l’Église où se répand l’idée que les Conciles ont la primauté sur les papes défaillants. Philosophe, prêtre, théologien, il est, en 1402, recteur de l’Université de Prague, prédicateur à la chapelle de Bethléem, confesseur de la Reine Sophie, épouse du roi de Bohême Venceslas.
Ce n’est pas un penseur original. Il emprunte ses idées au fond vaudois et surtout à l’Anglais John Wiclef. Orateur admirable, il s’élève initialement contre la richesse de l’Église et la fiscalité pontificale. De réformateur, il devient hérétique en affirmant que le chrétien doit appuyer sa foi uniquement sur l’Écriture sainte ; il rejette ce qui a été établi par la tradition : la confirmation, l’extrême-onction, le culte des saints. Mais le succès de Jean Hus repose essentiellement sur son « nationalisme tchèque » car il s’oppose à tout ce qui est allemand en Bohême.
Excommunié en 1411, puis exilé en 1412, il obtient en 1414 un sauf-conduit de l’empereur Sigismond pour se rendre au Concile de Constance. Ce fait laisse l’historien stupéfait. Il semble que Jean Hus ait voulu convaincre le Concile de la justesse de ses vues, mais surtout l’utiliser comme tribune. Arrêté trois semaines après son arrivée, il est jugé et brûlé le 6 juillet 1415. Cette décision provoque un tollé général en Bohême où Jean Hus apparaît comme une victime de l’Église romaine et de l’empereur germanique Sigismond. puis la « défenestration de Prague » de 1419 marque le commencement des guerres hussites. Elles sont conduites par les partisans modérés de Jean Hus, les Utraquistes, proches des catholiques mais communiant sous les deux espèces, et les Ultras ou Taborites qui ne retiennent que la prédication et l’Eucharistie. Ces derniers se rendent maîtres du pays, repoussent cinq « croisades » et sont finalement vaincus à Lipany en 1434. Les Utraquistes, quant à eux, obtiennent du Concile de Bâle l’autorisation de communier sous les deux espèces.
Avec Jean Hus donc, s’amplifie le processus qui depuis Wiclef devait mener à la réforme protestante. Un siècle plus tard, au frontispice d’un livre hussite, on verra en effet une gravure symbolique : Wiclef allume un briquet, Jean Hus porte du combustible, mais c’est Luther qui porte la torche : on ne pouvait dire plus vrai.
Richard Friedenthal, pour expliquer l’imbroglio des idées et des faits, a utilisé une abondante bibliographie et s’est penché sur les textes originaux. La compréhension de la période est facilitée par une chronologie et une présentation des familles régnantes en Europe. Il est à noter que l’auteur montre de la sympathie pour Jean Hus et de ce fait il n’a pas échappé à une certaine partialité.
En résumé, un livre intéressant qui est à lire et à méditer par ceux qui s’intéressent à l’histoire du Moyen-Âge et aux problèmes religieux en particulier. ♦