Genèse médiévale de la France moderne
Professeur à la Sorbonne et spécialiste du Moyen-Âge, l’auteur de cette étude s’attache à discerner les germes annonciateurs de l’époque de la « Renaissance », voulant montrer par là qu’il ne faudrait pas considérer celle-ci comme une césure radicale. Selon lui, « le Moyen-Âge français ne mourait pas : il muait en pleine jeunesse ». Le lecteur s’en doutait bien un peu, mais Michel Mollat, par son analyse rigoureuse, étaye ce qui n’était que simple présomption.
Il commence par démontrer que l’accouchement de la France moderne s’est fait dans les douleurs : celles de la guerre de Cent Ans. Un pays normalement constitué n’aurait pu résister à la grande épreuve composée d’une accumulation de malheurs : dévastations et rapines qui tuent la richesse, massacres et pestilences successives qui tuent les hommes, schisme dans l’Église, superstitions et déviations psychologiques qui délabrent le moral des populations survivantes… Tout cela aurait dû tuer la France. Or le pays, en changeant de siècle, est meurtri mais pas moribond. Il portait en son sein des forces de reconstruction. M. Mollat les souligne avec vigueur.
En combattant contre l’envahisseur, les Français prennent conscience d’eux-mêmes, forgent le patriotisme et se serrent autour de leur roi. La fidélité au Prince est d’autant plus significative qu’elle coïncide avec un État qui assoit son pouvoir de commandement sur des hommes, soit entreprenants comme dans le commerce, soit tenaces comme dans l’agriculture. Ces efforts permettent le rétablissement de la prospérité matérielle. À son sujet, l’auteur cite en fin de livre des témoignages de voyageurs (Seyssel, Monetarius), mais ne fait pas, nous semble-t-il, une assez large place aux « émotions populaires », c’est-à-dire aux révoltes qui ont jalonné le XIVe et le XVe siècle (les Tuchins du Languedoc) et font contrepoids à cette bonne impression d’ensemble.
Il est vrai que de son côté la pensée ne le cède en rien à la vitalité des forces productives : Paris s’ouvre à l’humanisme dès la seconde moitié du XVe siècle. Les Collèges, mais pas l’Université, font preuve de dynamisme en accueillant des disciplines nouvelles telles que la critique des textes, y compris sacrés !
L’éclairage des ressorts de la France nouvelle est conduit avec sûreté et de manière pédagogique : des extraits de documents viennent justifier les assertions de l’auteur. Des notices explicatives pour la compréhension des mots anciens sont les bienvenues. L’aération dans la présentation du texte en fait un livre agréable à lire. Toutefois les illustrations sont rares !
Pas de thèses fracassantes, mais une mise au point savante qui fait de cette « genèse » le point de départ obligé pour toute enquête sérieuse sur la France des XVIe et XVIIe siècles. ♦