Catherine la Grande
La mode chez les éditeurs est aux biographies. Curieusement, cette mode revient en force tous les quarante ou cinquante ans environ et dure une dizaine d’années. Les historiens sachant écrire n’étant pas toujours disponibles en nombre suffisant, il est alors fait appel à d’autres volontaires : romanciers, journalistes, hommes politiques, ou écrivains sans aucune spécialité. Le résultat est en général un produit de grande consommation, qui peut sur le moment paraître excellent, mais qui n’est qu’exceptionnellement de bonne conservation, car il reflète par trop les préoccupations de l’actualité et se plie aux goûts passagers du public.
Le cas de ceux qui se sont intéressés à Catherine II de Russie peut cependant être mis à part. Tout en entraînant la Russie dans une grande politique internationale qui n’était pas tout à fait à la mesure des réalités intérieures du pays et en déployant dans ce domaine une intelligence et un sang-froid qui forcèrent le respect et parfois l’admiration de ses ennemis les plus déclarés, l’impératrice voulut et sut rester essentiellement féminine dans ses relations avec sa cour, son admiration et ses amis russes ou étrangers. Cette dualité du personnage a toujours constitué un attrait pour ses innombrables biographes et c’est ce qui explique que ceux-là, indépendamment des commandes d’éditeurs, se sont abondamment et, dans ce cas, légitimement, recrutés dans un milieu plus large que celui des seuls historiens spécialisés.
Néanmoins, la plupart de ces amateurs (qu’ils ne prennent pas ce terme en mauvaise part !) n’ont pas toujours su, ou voulu, tenir la balance égale entre les différents aspects de la très riche personnalité de Catherine II. Henri Troyat est de ceux-là. Il a cherché, et brillamment réussi, à faire de la souveraine l’héroïne d’un roman, en cherchant à fouiller les recoins les plus secrets et les plus intimes de sa sensibilité et de sa sensualité féminines. Mais il a laissé dans l’ombre ses exceptionnelles qualités de chef d’État, peut-être en raison d’un certain manque d’intérêt pour les techniques de gouvernement ou encore d’une information insuffisante sur les problèmes de politique intérieure auxquels se trouvait confronté l’Empire Russe issu des réformes, parfois hâtives et le plus souvent inachevées, de Pierre Le Grand.
Quoi qu’il en soit, Henri Troyat réussit, une fois de plus, à distraire son public, qui ne lui tiendra pas rigueur de la tournure un peu leste de son récit et qui appréciera le pittoresque de ses descriptions et la perspicacité de ses intuitions psychologiques. ♦