Les cent jours de Mitterand / Les 180 jours de Mitterrand
Nous avions déjà les sondages, les face-à-face télévisés, l’échange des « petites phrases », voici les livres de politique-fiction. L’un des collaborateurs du Canard Enchaîné vient de nous livrer à son tour ses vues sur les débuts de la prochaine législature, mais Fabre-Luce et Philippe de Commines ont été les premiers à se lancer dans l’aventure. Leurs deux livres présentent bien des analogies, la principale étant de nous montrer sur quelle pente une victoire de la gauche entraînerait le pays, une gauche qui serait elle-même finalement victime du piège tendu à l’électorat : « La raison des choses finira par triompher de la brutalité des choses » remarquait Proudhon.
Mais avant qu’il en soit ainsi on verra le pays trébucher comme un homme ivre. Pendant quelques mois la France ne s’ennuiera pas ! Fabre-Luce imagine la prise de Beaubourg par des contestataires et un déjeuner littéraire de François Mitterrand qui sont pour le lecteur deux morceaux de bravoure tandis que Philippe de Commines nous intéresse aux émissions d’une radio pirate, « Radio-Lutèce », et au rapt de Charles Hernu, le ministre de la Défense… Tout cela est aussi cocasse qu’inquiétant.
Les deux livres rivalisent d’ingéniosité mais chacun a son cachet propre. La fable de Fabre-Luce est d’une écriture soignée, stricte, analytique. Les références à l’histoire de la IIIe et de la IVe République alimentent l’argumentation. Le détail reste absent, secondaire. Il en va tout autrement du récit de Philippe de Commines (un pseudonyme qui cache deux journalistes). La narration est souvent celle du journaliste en prise directe sur l’événement, les précisions abondent pour mieux étayer la crédibilité de la chronique de sorte que les rappels historiques y deviennent inutiles.
Les choses ne se passent pas de la même manière dans l’imagination de Fabre-Luce et dans celle de Philippe de Commines. Le premier, une fois la victoire de la gauche acquise, ne confie pas d’emblée la conduite des affaires à François Mitterrand : il esquisse une tentative de gouvernement d’union sous l’égide d’Edgar Faure. Un vote de censure de l’Assemblée obligera le Président de la République à faire appel au premier secrétaire du Parti socialiste. Très vite celui-ci devient le prisonnier de la coalition électorale et du Programme commun dont le PC se fait le gardien vigilant. De plus les syndicats tentent d’imposer la démocratie directe contre le Parlement : la décomposition gagne progressivement les différents secteurs de l’économie. Le pays est devenu ingouvernable. Le livre de Philippe de Commines conduit à la même constatation en y ajoutant les déboires d’un référendum constitutionnel et d’une dissolution de l’Assemblée par le chef de l’État. Dans les deux cas, c’est la fin de l’expérience d’une gauche ambitieuse mais mal préparée et désunie.
La politique internationale, notamment les problèmes de défense, sont laissés à l’écart de ces hypothèses. Tout se passe en vase clos. Le mérite de ces deux « romans » est de nous faire palper les conséquences d’une victoire de la gauche. Le plus étonnant reste qu’ils ont été devancés par l’événement. La crise au sein de la gauche a pris de court les éditeurs. Mais la lecture de ces deux récits de politique-fiction garde tout son sel. ♦