L'énigme Jean Moulin
Dans son précédent ouvrage sur la Résistance : La nuit finira (dont il a été rendu compte dans le numéro d’octobre 1973 de notre revue) Henri Frenay avait déjà soulevé le problème que posaient pour lui les opinions politiques de Jean Moulin ; celui-ci, se demande l’ancien chef de Libération Nationale, n’aurait-il pas été un « compagnon de route » des communistes ? Cette interrogation, malgré toutes les précautions prises par l’auteur pour expliquer qu’elle découlait d’un cas de conscience personnel, avait soulevé en son temps de très vives polémiques. Dans « l’énigme Jean Moulin », Henri Frenay a voulu à la fois présenter au lecteur un dossier susceptible d’étayer ses doutes et expliciter les raisons qui lui faisaient attacher tant d’importance au problème.
Le dossier, à vrai dire, n’est pas très convaincant. Jean Moulin – l’auteur y insiste à maintes reprises – était par nature un homme très secret qui ne se confiait à personne. Henri Frenay ne fait état d’aucune confidence, ni d’aucun témoignage qui puisse être considéré comme tant soit peu décisif. Il le reconnaît d’ailleurs avec une totale bonne foi. Ce qu’il cherche, nous dit-il, en dehors de toute polémique, c’est la seule vérité objective mais il se trouve que celle-ci finalement lui échappe ! Sa conviction intime cependant n’est pas pour autant ébranlée. Dès lors, n’est-ce pas un simple procès d’intention qu’il fait à Jean Moulin ? Est-ce vraiment utile ?
Oui ! cent fois oui ! affirme Henri Frenay. Car les sympathies communistes (pour ne pas dire plus) du représentant permanent au Comité national de Londres en France l’on conduit, dans un premier temps, à tromper de Gaulle sur la situation réelle dans le pays et, dans un deuxième temps, à en profiter pour mettre en place un processus irréversible destiné à restaurer après la guerre le règne des partis politiques, parmi lesquels le Parti communiste (espérait-on) prendrait rapidement la première place grâce au rôle que ses militants se voyaient attribuer dans la Résistance. Au lieu d’une rénovation complète de la France, de toutes ses structures et des mentalités mêmes des Français, dont rêvaient les « Mouvements » et Henri Frenay peut-être encore plus que d’autres, la mission de Jean Moulin a débouché finalement sur un retour aux tristes médiocrités partisanes. Et c’est là un fait d’une incontestable importance historique qui, pour Henri Frenay, justifie largement (si même il ne l’exige) une recherche approfondie.
Chacun en jugera par lui-même, à sa guise. Mais ce dont le lecteur le plus pointilleux peut être assuré, c’est qu’il ne trouvera jamais l’occasion, tout au long des témoignages et des raisonnements d’Henri Frenay, de mettre en doute l’honnêteté intellectuelle de l’auteur, l’héroïsme de Jean Moulin et la profonde passion que l’un et l’autre éprouvaient pour la France. ♦