Les classes sociales au Liban
Si toute somme de travail mérite respect, accordons d’emblée un coup de chapeau aux auteurs de cette étude. Elle offre une mine de renseignements pris sur le vif mais aussi de pesantes analyses. Les questionnaires sociologiques y ont la part belle et ils sont un peu ce que les géologues attendent des « carottages ». Mais au moins ces derniers restent-ils soumis à la réalité au lieu de l’examiner à travers des lunettes doctrinales. En disséquant le Liban en fonction des seuls critères marxistes, les auteurs ont, certes, mis à jour certaines tensions qui font voler en éclats le mythe de l’harmonie libanaise. Toutefois, le tamis de leur méthode a laissé échapper des facteurs plus subtils. Il est, du reste, assez révélateur qu’aucune place ne soit accordée à la fonction ludique, à cette évasion sociale conférée par le jeu dans tous les pays du Levant, comme de la Méditerranée.
Que les classes libanaises aient servi de « relais économique au sein du marché capitaliste mondial » est une constatation trop générale pour expliquer la particularité de ce pays. Les interférences sociales existantes relèguent d’ailleurs au second plan la notion même de classe : il serait plus juste de parler de couches sociales. Encore celles-ci sont-elles traversées par des traditions religieuses opérant un clivage assez impérieux pour avoir prolongé une désastreuse guerre civile, seul le phénomène palestinien (étranger à la vie profonde du Liban) venant brouiller les cartes. Les auteurs ne reconnaissent-ils pas eux-mêmes l’insuffisance de leur investigation lorsqu’ils s’interrogent à la fin du livre sur les raisons de ces affrontements ? Et lorsqu’ils constatent que « tous les laissés pour compte du miracle libanais… au lieu de se retourner contre le système oppresseur et les classes dominantes multiconfessionnelles responsables, se sont affrontés dans des luttes meurtrières et fratricides » ? Un livre qui se termine par une telle question apporte-t-il des réponses satisfaisantes ? ♦