Les Patrons
Harris et Sédouy ont connu la célébrité en 1974 avec leur Voyage à l’intérieur du Parti communiste. Virant de bord à 180°, ils mettent maintenant le cap sur l’océan des patrons.
Leur nouvel ouvrage connaîtra certainement le succès tant le public paraît avide de découvrir un monde jugé encore plus inconnu. Mais le monde patronal serait-il plus difficile à appréhender que le parti communiste ? Il ne le semble pas à condition de rester à la surface des choses. Les auteurs ont choisi le plus facile. Ils sont allés à la découverte de l’homme plutôt qu’à celle de la fonction. « Ce que nous avons cherché, c’est à comprendre ces hommes. Donc d’abord à leur parler et à les écouter ».
Ce gros livre se présente comme une suite de conversations avec une trentaine de responsables des professions les plus diverses (banque, presse, sucre, automobile, habillement, boissons, loisirs…) ou d’organisations patronales, à commencer par le CNPF dont le président est interrogé à deux reprises. Ces responsables, qui sont-ils ? Des « grands » patrons et des moins grands, mais pas des « petits ».
On ne s’ennuie jamais à voyager avec Harris et Sedouy, car ils ont pris bien soin de mettre en relief les impertinences, les bons mots, les poses. Cette galerie de portraits qui risque de vieillir très vite – deux des personnages et non des moindres ont déjà, depuis la publication du livre, disparu de la scène patronale – s’achève par une interview du leader socialiste Michel Rocard. Choix arbitraire ? Nullement. « Parce qu’avec lui, disent ces patrons, on pourrait peut-être s’entendre. Il sait de quoi il parle ».
Les questions et les commentaires des auteurs devaient-ils tenir une aussi grande place dans l’ensemble du livre ? On peut en discuter. Au contraire, on regrettera à coup sûr de trop nombreuses coquilles. L’expression « ça été » revient une bonne cinquantaine de fois. Au lieu de demander « Comment est-ce que vous achetez ? » (p. 335), n’eût-il pas été impie et plus élégant de dire « Comment achetez-vous ? ». Lévêque, le PDG du Crédit commercial de France ne se prénomme pas Xavier, mais Jean-Maxime et le directeur de l’information au CNPF ne s’appelle pas Froisse, mais Frois.
Harris et Sedouy avaient-ils une idée derrière la tête en présentant cette série de tableaux ? Une chose est sûre. En cédant au goût ou à la nécessité du vedettariat, les acteurs de la pièce ont diverti les auteurs et ils amuseront aussi beaucoup les lecteurs. Ceux-ci auront-ils pour autant le goût de devenir un jour des « patrons » ? Il paraît douteux que l’ouvrage suscite beaucoup de vocations. ♦