Les socialistes et le Tiers-Monde
Dans le programme commun de la gauche le dossier des relations avec le Tiers-Monde était traité avec une brièveté qui confinait à l’indigence. Dans le commentaire dont le Parti socialiste l’avait assorti à l’époque, une tentative était faite en vue de mieux cerner la question. Mais on en restait aux thèmes de pure propagande (la coopération néocolonialiste… la politique des chasses gardées… le soutien à des potentats autoritaires…). Cet ouvrage, fruit de deux années de réflexion d’une commission ad hoc du Parti socialiste, entend remédier à la faiblesse des précédentes analyses.
Nul ne contestera la nécessite d’un nouvel ordre économique international, et les autorités française actuelles moins que tout autre. Une nouvelle approche des problèmes commence par une critique des relations existantes : encore faut-il qu’elle ne soit pas trop systématique et la présente étude n’échappe pas à ce reproche. Contrairement à ce qu’en pensent ses auteurs, l’aide bilatérale a souvent été mieux orientée et plus immédiatement bénéfique que l’assistance multilatérale. Du reste les pays du bloc socialiste ne se font pas les porte-drapeaux de cette dernière. Il est vrai que si pour les Occidentaux l’aide est généralement intéressée, elle est très nettement orientée de leur part. Il est, au demeurant, curieux que le PS n’aborde pas ce sujet.
Il n’est rien de concret sans réalisme et bien souvent les analyses qu’on nous soumet relèvent de l’utopie. Ainsi en va-t-il de cette « socialisation des ressources de la planète », en commençant par les richesses marines pour aboutir aux matières premières terrestres : plus que jamais les pays du Tiers-Monde insistent sur le droit d’un pays à disposer lui-même des produits de son sol… et les pays socialistes ne sont pas les derniers à prôner (à juste titre) ce droit. D’autre part il est bien inutile de revenir avec insistance sur la dépendance des pays en voie de développement alors que l’interdépendance est le lot commun et que les nations industrialisées sont elles aussi tributaires des décisions du Tiers-Monde et pas uniquement dans le domaine de l’énergie ! Il ne suffit pas, pour éclairer le problème, de dresser un réquisitoire contre les nations industrialisées : Lyautey octroyant au royaume chérifien l’exploitation des phosphates du Maroc assurait l’assise économique du pays. Il n’en demeure pas moins que la plupart des pays en développement ont subi le contrecoup de l’expansion des nations occidentales. Cela signifie-t-il que ces dernières aient systématiquement empêché les premiers de tirer parti du potentiel économique qu’offre la technique moderne ? Ou bien ne faut-il pas prendre en considération le fait que les concepts élaborés dans les pays du Tiers-Monde s’adaptent souvent mal aux exigences de la croissance ? Si l’apport médical des pays industrialisés a été généralement favorable, leur apport culturel ou technique a souvent été contesté. Les pays les mieux lotis sont ceux-là mêmes qui ont favorisé de bons rapports avec l’Occident. Dans le domaine francophone les exemples sont multiples. Une étude qui ne les prend pas en compte escamote le « possible » pour s’enferrer dans des perspectives trop abstraites et n’ayant plus de point d’application.
« Mobiliser la France au service du développement de tout le Tiers-Monde », en effaçant ainsi les vieux liens historiques, reste du ressort de la chimère : c’est proprement assigner à notre politique de coopération une tâche incommensurable ou l’amoindrir dangereusement dans les pays et les secteurs où son utilité est probante. Les socialistes n’ayant pas assumé le pouvoir depuis que s’est faite la décolonisation paraissent n’avoir finalement qu’une perception fort doctrinale en matière d’aide au Tiers-Monde. Ce livre en porte témoignage en dépit de suggestions généreuses. ♦