Pionniers et Colonisateurs
M. Olivier Lesourd, qui avait consacré une série d'intéressants volumes aux « Géants de la politique », a récemment publié une œuvre consacrée aux personnalités énergiques et aventureuses des marins et des coloniaux qui furent les grands artisans du rayonnement de notre Empire dans le monde. Elle a été édifiée en l'honneur de quelques hommes d'élite, les plus grands parmi les Français, à travers les siècles héroïques de l'histoire. Sans prétendre à une grande originalité documentaire, les différents collaborateurs de cette collection ont brossé une série de tableaux, suffisamment précis et vivants, qui permet d'évoquer la physionomie de ces pionniers. Après Christophe Colomb, Vasco de Gama et Magellan dus à un même auteur, M. Louis Champagne, nous passons en revue la galerie des colonisateurs, plus particulièrement des colonisateurs français ; nous devons à M. Maurice Brassart un excellent Jacques Cartier, à M. Louis Champagne un Champlain, un Cavalier de la Salle, et un Dupleix remarquables. Les temps modernes occupent les deux tiers de l'ouvrage avec le maréchal Bugeaud, Ferdinand de Lesseps, Faidherbe, Francis Garnier, Galliéni, Lyautey, Savorgnan de Brazza, Marchand, Charles de Foucauld et Laperrine.
C'est une bonne fortune qui est échue à ces œuvres de vulgarisation que d'avoir été préfacées par le général Juin, chef d'État-major de la Défense nationale qui a, en termes excellents, résumé le livre et tiré de tant d'efforts la leçon qui s'impose à tous les Français. Il écrit notamment :
« L'époque des entreprises aventureuses sur les mers lointaines, au cœur des continents mystérieux, est révolue. Mais sur le sol, conquis et défriché par les Galliéni et les Lyautey, une opulente moisson a mûri : ce sont nos divisions coloniales et nord-africaines. De Bir-Hakeim à Tunis, de Tunis à Rome et de Rome à Mulhouse et à Strasbourg, elles ont réappris la route millénaire de nos libérations, rétabli le prestige de nos armes et porté à l'ennemi les coups décisifs qui font présager la pleine victoire. Si jamais quelques sceptiques ont douté de l'efficacité de nos entreprises coloniales, ils sont probablement convaincus à présent. Ainsi, les héros de notre épopée coloniale, les Bugeaud, les Garnier, les Marchand, les Brazza, leurs élèves et leurs successeurs, apparaissent-ils comme des créateurs d'énergie française et aussi comme de prestigieux ambassadeurs de notre idéal national. C'était le temps des semailles. À la saison suivante, des milliers de tirailleurs, de spahis, de goumiers se sont levés, nouveaux mages au chef enturbanné, pour témoigner que les efforts, les souffrances, les sacrifices consentis n'ont pas été vains. Du sang et des larmes ont été répandus là-bas et ici, ceci payant cela. La France et son Empire, unis dans les joies comme dans les douleurs de la création, ne peuvent plus ni se séparer, ni se méconnaître. Mais l'œuvre est loin d'être achevée. Coloniser, c'est vivre, et vivre, c'est évoluer. Le temps est passé où l'on pouvait comparer la vie coloniale à une navigation paisible sur un grand fleuve au cours lent, entre des berges ombragées de grands arbres immobiles. La guerre a eu, elle aura de lourdes répercussions sur notre Empire, répercussions politiques, sociales, économiques. Sans la guerre, aucune force au monde n'aurait empêché nos sujets et nos protégés de prendre leur part de profits et de risques dans la grande aventure où le monde en gestation est engagé. Ce n'est plus sur un beau navire, gréé comme aux jours de fête, que nous sommes embarqués, c'est sur un radeau construit d'éléments divers, au hasard de l'histoire, de la géographie et du destin.
Le cours du fleuve ost rapide, les passagers sont nerveux, le chargement fragile, des écueils se dressent çà et là. Il faut à l'Empire des pilotes courageux et compétents qui ne soient ni des passants en quête d'autre chose, ni des bureaucrates sourcilleux. Le but est simple, cependant, la France impériale, comme la République de l'An II, est une et indivisible. Elle doit vivre, prospérer, lutter et souffrir dans l'unité, mieux, dans l'union. Tous les germes de dissolution doivent être éliminés avec énergie, mais toutes les sources de mieux-être, toutes les occasions de progrès doivent être recherchées et exploitées sans arrière-pensée, dans la joie, dans la vigueur et dans l'audace, avec l'esprit d'entreprise et de sacrifice qui anima nos pionniers. »
La même collection vient de faire paraître un ouvrage analogue, intitulé Les Réalisateurs, conçu dans le même esprit, et qui présente sous une forme simple, presque populaire, les efforts de ceux qui, s'emparant des conceptions des savants, savent en tirer des conclusions pratiques, depuis Saint-Paul jusqu'à Eiffel, Haussmann, Cognacq, Érard et Bréguet, qu'on peut, cependant voir, avec quelque étonnement, ainsi mis sur le même plan.