Le monde rompu
Sorti en librairie au début de l’été, l’ouvrage de Pierre Mayer a déjà bénéficié des plus brillants éloges. « Un très grand livre », estime Jacques Rueff. Michel Jobert souhaite que « tout homme d’État ait lu ce baromètre du monde pour alimenter sa réflexion et déterminer son action ». Michel Rocard considère qu’il « éclaire les enjeux de toute stratégie de changement international » et le Premier ministre Raymond Barre se félicite qu’il « remette en question des idées reçues et ouvre des voies nouvelles à la réflexion ».
Le monde d’aujourd’hui est un monde « rompu », c’est-à-dire – dans la double acception du terme – à la fois cassé et fatigué. L’analyse que propose Pierre Mayer est insolite en ce qu’elle s’écarte délibérément des clichés habituels de malaise, de décadence ou de menaces armées. Elle est aussi globale car elle ne privilégie aucun des axes de tensions (Est-Ouest ou Nord-Sud) sur lesquels s’attardent généralement trop volontiers les commentateurs.
Après les secousses terribles qui ont abouti à la « déchirure » brutale des années 1972-1973, accord Nixon-Brejnev, fin de l’engagement américain au Vietnam, guerre du Kippour, quintuplement du prix du pétrole, la situation mondiale est minutieusement décrite à partir de faits, de chiffres et d’anecdotes que l’auteur a pu recueillir aux meilleures sources, surtout lorsqu’il fut le conseiller personnel de Michel Jobert.
À lire ce livre intelligent et lucide, on s’émerveille que l’auteur, en moins de 300 pages, ait pu brosser une telle fresque dans un style d’une parfaite pureté où la densité laisse souvent place à l’humour et à la poésie. Il faut en particulier avoir lu et relu les chapitres consacrés aux grandes puissances. Non seulement les pages sur la Chine qu’Alain Peyreffite a trouvées particulièrement « denses et clairvoyantes » : mais aussi celles sur les États-Unis qui éclairent l’actuel débat sur le déclin relatif ou la toute-puissance américaine ; et surtout, inspirée par l’un des plus beaux textes de Dostoïevski, cette angoissante description de la Russie soviétique : « Étrange et poignant destin que celui du peuple russe, grand entre les plus grands, de plain-pied avec l’universel, enraciné dans la terre profonde, mais confiné dans le silence et coupé du dehors par des mers funestes et de lui-même par son État rétrograde qui l’éloigne de son accomplissement et peut-être de son apothéose ! »
Le livre de Pierre Mayer n’est pas uniquement un constat qui permet de mieux comprendre les invariants du monde actuel, il est riche de propositions qu’il est malheureusement impossible de résumer ici. L’affirmation obstinée des identités, que celles-ci soient nationales, linguistiques ou culturelles, apparaît comme le meilleur espoir de l’humanité. Sans doute, les « réalistes » trouveront-ils cette voie trop optimiste. Ils auront tort car si cette espérance ne se réalise pas prochainement, le monde « vivra sa passion ». ♦