L’anticléricalisme en France de 1815 à nos jours
Idée politique négative dans son essence, l’anticléricalisme apparaît en tant que véritable idéologie politique comme une composante essentielle de l’histoire politique française. Et pourtant il n’y a pas de théoricien de l’anticléricalisme, ce phénomène n’est l’apanage d’aucun groupe social, d’aucune région géographique et d’aucune tendance politique.
Cette histoire de l’anticléricalisme, appuyée sur une abondante documentation et de nombreuses citations, touche à tous les domaines de la vie nationale, le culturel, le social, le religieux et le politique. Le pouvoir est ici, selon René Rémond, un instrument de la lutte pour la conquête de l’âme des fidèles ou l’esprit des citoyens.
Si le mot est récent (1850-1870), le sentiment est ancien : il apparaît vers 1817 avec le développement de l’indifférence religieuse, nourrie par le discrédit d’une partie du clergé et entretenue par la bourgeoisie républicaine. L’idéologie se résume elle-même en quelques thèmes : l’Église menace l’État, la nation, l’individu et les familles, le clergé est corrompu et son action est nocive en matière d’éducation et son influence néfaste en politique.
René Rémond retrace alors les grandes étapes de l’histoire de ce phénomène en France, faisant apparaître la pluralité des anticléricalismes (de droite et de gauche) et les adaptations successives au cours des cinq phases de son histoire.
Aux périodes de défiance, succèdent les périodes de fraternisation (1848, 1890, 1914-1918), 1876 marque l’année de l’affrontement le plus violent avec la polémique de Gambetta au cours de la campagne législative, le cléricalisme étant assimilé à la tentative de restauration du comte de Chambord.
Si à partir de 1890, l’Église modifie son attitude face à l’État avec le « Ralliement », l’anticléricalisme devient plus complexe à mesure que certains imputent au cléricalisme la paternité de l’antisémitisme tandis que d’autres, comme Jules Guesde, voient dans l’anticléricalisme une diversion à la lutte contre le capitalisme et la propriété.
Ce qu’il est par ailleurs intéressant de relever, c’est qu’après Vichy et l’« ordre moral », il n’y aura aucune revanche contre le clergé, sa « participation à la Résistance ayant balancé les inconvénients de la compromission des autorités religieuses ».
La dernière phase que distingue René Rémond à partir de 1945 est marquée par le recul de l’anticléricalisme dans la plupart des débats politiques, à l’exception du domaine scolaire. Cela ne signifie pas pour autant la disparition de l’idéologie qui persiste, latente à côté d’un certain antipapisme protestant et du syndicalisme, alimenté par quelques « affaires » comme celle des enfants Finaly, celle de la mort de Herriot, celle du chanoine Kir ou l’affaire Defregger.
Enfin de nouveaux anticléricalismes apparaissent, au nom de la liberté culturelle, ou contre Vatican II. L’anticléricalisme ainsi se renouvelle surtout de l’intérieur.
Il n’existait pas, à part l’ouvrage d’Alec Mellor et celui d’Émile Faguet, d’histoire de l’anticléricalisme en France, mais surtout des études de l’esprit laïc. René Rémond a comblé un vide dans l’histoire des idées politiques française qui complète d’une certaine manière son Histoire du Catholicisme en France et que les crises qui ébranlent l’Église actuelle rendent encore plus intéressant.
Si l’on ne saurait faire aucune critique à cette histoire d’une idée, l’on peut signaler d’autres dimensions du problème, celle des relations entre les « cléricaux » et le Pouvoir, celle de l’évolution comparée de l’anticléricalisme en France et en Italie ou en Espagne, ou encore celle de l’influence de cette idéologie dans la transformation du système politique, tant à travers ses aspects constitutionnels qu’à travers la pratique politique. ♦