Cette fois l’Afrique noire
C’est une judicieuse et bien opportune étude que nous livrent les auteurs. Un moment vient, nous dit Pascal, où il faut voir les choses d’un seul regard. Cet instant, pour Jean-Pierre Roux et Philippe Gaillard, est venu avec le repli portugais. Pour eux, il marque la charnière de l’avenir du continent africain tout comme les années 1960 furent le seuil de l’indépendance. Pourquoi cela ? Eh bien, parce que la décolonisation des territoires portugais s’est effectuée à la suite d’une interminable lutte, contrairement à ce qui s’était passé pour les colonies françaises ou anglaises. Or, souligne cette étude, ce combat a eu pour effet de mettre en contact étroit les dirigeants nationalistes et la population. Il a eu pour corollaire l’éviction totale de l’administration en place. Dans l’ancienne Afrique occidentale française (AOF) comme dans l’Afrique équatoriale française (AEF) ou ailleurs, des aménagements progressifs avaient eu lieu. De plus, nombre des nouveaux chefs d’État avaient tenu des charges importantes au sein des institutions françaises de sorte qu’il n’y avait eu aucune solution de continuité, aucun hiatus.
De cette double constatation, les auteurs infèrent que les régimes mis en place au Mozambique, en Angola et de manière encore plus exemplaire en Guinée-Bissau, fixent le profil de l’Afrique future. D’une Afrique lavée de toute trace de colonialisme. Mais exempte également de toute idéologie. « Si le terme de marxiste s’applique à bon droit à telle ou telle individualité, il ne saurait en aucune façon caractériser le courant moyen et majoritaire » des populations. On imagine mal en effet, les nationalistes africains, risquant tout comme les Palestiniens, la mort pour une idéologie, mais bien pour leur pays, leur avenir. Il y a vingt ans exactement, Richard Wright, préfaçant un ouvrage essentiel de George Padmore (Panafricanisme ou communisme ?) prévenait : « le Noir, même quand il embrasse le communisme ou la démocratie occidentale, ne soutient pas des idéologies : il cherche à utiliser des instruments (des instruments que possèdent et contrôlent des hommes d’autres races) à ses propres fins. Il se tient en dehors de ces instruments et de ces idéologies. » L’analyse faite aujourd’hui par Jean-Pierre Roux et Philippe Gaillard en apporte la preuve. Bref, les nouvelles structures dont se dote l’Afrique ne sont plus dérivées de celles laissées en place par les anciennes puissances coloniales, non plus que des systèmes doctrinaux parmi lesquels se classent les nations occidentales. « L’image de l’État africain de l’an 2000 a des chances de s’esquisser à Bissau, à Luanda, à Lourenço-Marqués », estiment les auteurs dont l’effort de prospective ne s’arrête d’ailleurs pas là : il faut lire en effet avec attention tout le chapitre consacré au problème de l’Afrique australe. Les schémas d’avenir y sont répertoriés sans complaisance.
Ce cahier est complété, in fine, par des statistiques et commentaires économiques ainsi que par des notes succinctes sur les mouvements de libération. Précisons encore que l’exposé est toujours fort clair grâce à une écriture qui ne se réfugie jamais dans une terminologie absconse comme l’aiment tant certains spécialistes à l’heure actuelle. ♦