Avec Lyautey
Indépendamment de son œuvre créatrice et exemplaire au Maroc, le maréchal Lyautey a exercé une profonde influence sur plusieurs générations d’officiers dont il fut un véritable maître à penser. La pléiade de jeunes chefs qui s’affirmèrent au cours de la guerre 1914-1918 : les Gouraud, Heurys, Mangin, Humbert et tant d’autres, furent formés directement à son école, au Maroc. La plupart des commandements importants de la dernière phase de la guerre 1939-1945 furent exercés par des officiers ayant fait leurs premières armes dans les années 1920, également au Maroc, dans cette extraordinaire ambiance d’action et d’efficacité qui fut celle du Protectorat sous le proconsulat de Lyautey : nous pensons à Juin, de Lattre, Leclerc pour ne citer que les plus réputés.
La nature de cette influence, qui débordait largement le plan professionnel de la conduite des opérations pour s’étendre à une sorte de philosophie générale de l’action pouvant s’appliquer dans tous les domaines, y compris celui de la politique et de la morale, n’a jamais été aussi bien analysée que dans le présent ouvrage du général Maurice Durosoy – qu’on peut légitimement considérer comme un des principaux dépositaires de la pensée du maréchal. Arrivé au Maroc en 1921, il servit d’abord dans le bled, aux Affaires indigènes : en 1924, Lyautey le fit venir à son cabinet ; il le garda auprès de lui jusqu’à son départ du Maroc : et ensuite en France, jusqu’à sa mort en 1934.
Sans prétendre s’ériger en biographe du maréchal Lyautey, c’est à l’évocation de cette seule période de 1921-1934 que s’attache notre auteur. Son ouvrage comporte deux parties principales, l’une et l’autre strictement factuelles, reliées par ce qu’on appelle aujourd’hui une « réflexion ». Les faits concernent, pour la première partie, et sous forme de souvenirs personnels, les opérations menées pour la suppression de la « Tache de Taza » : animées directement par Lyautey, elles constituent un des exemples les plus typiques de sa méthode de pacification alliant intimement l’action militaire à l’action politique. Dans la seconde partie, complétant ce qu’il a vu ou connu personnellement par des documents d’archives, l’auteur traite de l’agression rifaine, des opérations qu’elle nous obligea d’entreprendre et des répercussions d’ordre politique qu’elle eut à Rabat, mais surtout en métropole, et qui conduisirent le Gouvernement français de l’époque à infliger une sorte de désaveu au Résident général en confiant le commandement opérationnel à Pétain dans des conditions incompatibles avec le maintien sur place de Lyautey. La réflexion qui relie ces deux parties est consacrée, quant à elle, à la personnalité du maréchal Lyautey, à ses conceptions de la mission de la France en Afrique du Nord, aux doctrines d’actions qui en étaient la conséquence et à ses vues d’avenir.
Cet ouvrage bien écrit, précis et concret dans le détail, évoque en outre admirablement l’ambiance, à vrai dire unique, qui a caractérisé le Maroc de Lyautey au lendemain de la Guerre de 1914 et qui a été si bien décrite en son temps par les frères Tharaud ou par André Maurois. Il y a une tendance aujourd’hui à ne plus trop évoquer cette période, au point qu’on peut se demander parfois ce que le nom de Lyautey suggère aux jeunes de 1976. Ont-ils seulement lu les admirables lettres du Tonkin et de Madagascar, jadis livre de chevet de tout Français ardent et ambitieux ? Liront-ils le livre du général Maurice Durosoy ? Souhaitons-le, sans trop y croire ! Ce livre les aiderait cependant à se faire « une certaine idée de la France » qui les surprendrait peut-être, mais qu’il importe tout de même de leur présenter. ♦