De la connaissance historique
La réimpression de cet ouvrage paru en 1954 offre une occasion d’attirer l’attention sur cette réflexion sur l’histoire et sur les problèmes soulevés par les démarches de l’esprit de l’historien. Henri-Irénée Marrou souhaite combattre le recul de la confiance en l’histoire et reprendre l’héritage de Wilhelm Dilthey qui refusait « l’idole scientiste » en histoire et distinguait les « sciences de la nature » des « sciences de l’esprit ».
En essayant de dresser un inventaire systématique des problèmes fondamentaux de l’analyse historique, Henri-Irénée Marrou n’a pas fait un manuel de philosophie de l’histoire, mais un bilan à la fois technique et théorique. Il tente de dégager « l’existence d’un niveau spécifique où s’établit la validité de l’histoire comme connaissance du passé humain ». Selon lui, il n’est pas non plus utile d’élaborer des « lois historiques » car les phénomènes appréhendés sont singuliers, irréductibles l’un à l’autre (sans qu’il faille pour autant exclure toute étude comparative sur des aspects partiels), « fictivement abstraits par l’analyse mentale ». Cette position qui est à l’opposé de celle de Toynbee soulève à elle seule un débat sans fin. Mais quelle que soit l’importance de la question, là n’est pas l’essentiel pour l’auteur. Pour lui, au contraire, l’essentiel, c’est la « valeur existentielle » de l’histoire en raison de l’aventure spirituelle qu’elle représente pour l’historien. Ainsi tout repose sur ce lien fondamental entre l’histoire et l’historien qui dépend lui-même de tout un environnement mais doit « mettre en sourdine » ses préoccupations personnelles.
Est-ce possible ? N’est-ce pas contradictoire avec la constatation même du lien qui existe entre lui et l’histoire ? et l’affirmation qu’il n’y a de vérité que celle qui est valable pour lui-même ?
Le lecteur est convié à un débat passionnant. Invitons-le en même temps à confronter ces positions avec celles de Raymond Aron, non seulement dans l’Introduction à la philosophie de l’histoire (Éd. Gallimard), mais aussi dans Dimensions de la conscience historique (Éd. Plon) où au débat sur le relativisme est associée la question de la responsabilité du philosophe. L’historien, selon Henri-Irénée Marrou, a-t-il les mêmes responsabilités ? ♦