L’Indochine Rouge
Trop, ou trop peu… C’est sur cette impression d’insatisfaction que reste le lecteur du petit volume (175 pages) par lequel le général Salan a voulu marquer le triomphe communiste en Indochine ex-française.
Août 1945–avril 1975 : il aura fallu trente ans d’une action persévérante, guerrière et politique, pour que le Viet Minh, sous sa bannière ou celle de partis frères inféodés, et grâce au prétexte d’un légitime nationalisme, assure sa domination sur le Vietnam et ses voisins immédiats. Le général Salan montre l’inflexible continuité de cette action, son caractère tout à la fois dogmatique et pragmatique, son emprise psychologique sur les peuples, par la propagande, l’exemple… ou la coercition ; et l’outil de cette action – l’armée populaire – est longuement analysé, scruté, confronté avec les résultats.
Mais, pour ceux qui durant ces trente ans se sont intéressés de près à cette Indochine, parce qu’ils furent concernés ou témoins, ce livre n’apporte pas de lumières bien nouvelles, et les chapitres sur la guerre révolutionnaire – que nos 2e et jadis 5e bureaux ont disséquée depuis longtemps – apparaîtront bien longs, alourdis de redites et répétitions, qu’aggrave un style très « état-major » qui ne parvient guère à redonner vie à des souvenirs, poétiques ou tragiques, ancrés au cœur de nombreux Français…
Par contre, pour ceux, plus nombreux sans doute, qui n’ont sur cette geste indochinoise que les lueurs journalistiques happées au rythme irrégulier des événements, l’analyse du général Salan paraîtra bien ardue, trop brève pour la période française, très insuffisante pour la période américaine, et surtout trop constamment abstraite : la guerre révolutionnaire du Viet-Minh n’est vue qu’à travers des citations de Mao Tsé Tung ou Giap, des extraits de textes prélevés sur la masse de documents récoltés par nos 2e bureaux du temps que l’auteur était acteur ou commandant en chef. Cela eût mérité d’être vivifié par des exemples concrets, avec au moins une carte et des croquis, et une bibliographie permettant de remettre textes et citations à leur vraie place, dans le temps et l’espace, face aux rares faits ou noms cités. Ce manque sera ressenti par ceux qui n’acceptent d’être convaincus que sur preuves.
Du moins, au terme de cette lecture, reste-t-il deux forts sujets de réflexion.
D’abord, à constater l’unité et la continuité de conception et d’action qui ont présidé à la conduite des affaires du Viet Minh pendant 30 ans – Pham van Dong et Giap, leaders en 1945, le sont encore en 1975 ! – à constater le sérieux et le désintéressement de leurs efforts, leur soumission bénéfique à l’autocritique et leur acharnement dans les « récapitulations générales » à tous les niveaux de l’encadrement politique ou militaire ; à constater la netteté et l’unicité du but poursuivi, on ne peut que mieux comprendre l’échec de ceux, français, américains ou « fantoches », qui ne surent y opposer, en raison d’objectifs politiques imprécis et changeants, que des actions discontinues et inadaptées, malgré l’ampleur des moyens et le courage des combattants. ♦