L’aventure incertaine. De la Résistance à la Restauration
Après La nuit finira de Henry Frenay et Le temps des passions de Francis Closon, voici en peu de mois un troisième témoignage capital sur la Résistance française publié par un acteur ayant assumé des responsabilités « au sommet » pendant la clandestinité. Fils de grand bourgeois (son père Édouard est dramaturge célèbre et administrateur de la Comédie française en 1939), Claude Bourdet, ingénieur de formation, militait dans les organisations antifascistes et entra au cabinet d’un ministre du Front populaire en 1936.
Après le désastre de 1940, il s’installe dans le Sud-Est pour des raisons professionnelles, puis est mis en contact avec Henry Frenay. Nommé sur le champ responsable départemental du Mouvement de Libération nationale – qui est l’ébauche de « Combat » – Bourdet va se consacrer totalement à la Résistance et deviendra membre du comité directeur de Combat, puis des MUR (Mouvements unis de résistance) et enfin du CNR (Conseil national de la Résistance) avant d’être arrêté puis déporté en 1944.
Son livre est moins un recueil de souvenirs qu’un ensemble de commentaires. Avec lucidité et pertinence souvent, non sans passion ni parti pris parfois, Claude Bourdet analyse ce que fut cette « aventure incertaine » dont le sous-titre indique bien qu’à son regret elle a échoué sur un point : la restauration du vieil ordre social existant.
Le premier chapitre donne le ton de l’analyse : « Qui étions-nous » ? Des non-conformistes, des originaux, des individualistes qui se sont trouvés au hasard d’une rencontre, et non pas du fait de compétences particulières, dans des domaines aussi divers que ceux de l’action ou de la réflexion politique. Et les insuffisances de la Résistance (en particulier son incapacité à formuler une doctrine politique capable de s’imposer à la Libération) viennent de cette origine aléatoire. N’en sont pas coupables ceux qui se sont lancés délibérément dans l’aventure de la Résistance. Les responsables, c’est « une classe sociale qui s’est, dans sa majorité, vautrée dans le vichysme… C’est aussi un mouvement ouvrier qui s’est donné dans les années d’avant-guerre des directions sectaires et impuissantes, ce qui l’a empêché de prendre dès le départ la relève de la bourgeoisie ».
On notera l’intérêt des chapitres consacrés aux conflits entre la Résistance et la France libre ; l’analyse de Claude Bourdet rejoint celle de Henry Frenay mais méconnaît cependant les contraintes imposées par les alliés à la politique du général de Gaulle. Quant aux tentatives des communistes pour s’assurer une position dominante au CNR, l’auteur peint bien le sentiment d’impuissance angoissée et de frustration des résistants non communistes lorsqu’ils découvrirent peu à peu l’influence grandissante dans les organismes de la Résistance d’une part des responsables avoués du PC, d’autre part de sympathisants qui s’alignaient régulièrement sur les positions communistes.
Mais pourquoi faut-il que ce livre, passionnant à plus d’un titre, soit parfois gâché par des manifestations d’antimilitarisme primaire et des affirmations inutilement blessantes du genre de celle-ci : « J’ai gardé mes fausses cartes d’identité au cas où l’armée française jouerait au Chili » ? ♦