Histoire des radicaux, 1820-1973
Depuis le début du XIXe siècle, les radicaux ont joué dans la vie politique française un rôle toujours sensible, souvent déterminant et parfois capital, mais le radicalisme français ne se laisse pas enfermer dans des définitions rigoureuses. Sans doute l’idéologie radicale gravite autour de quelques noyaux fondamentaux, mais ses expressions se sont considérablement modifiées selon les circonstances. « Phénix de la vie politique française, le radicalisme renaît volontiers de ses cendres, mais c’est souvent pour offrir un visage altéré ». Jean-Thomas Nordmann a donc jugé prudent de ramener l’histoire du radicalisme à l’histoire de ceux qui se sont affirmés radicaux avant de s’organiser en Parti radical. Il étudie les grandes phases de cette double évolution en esquissant la vie et l’action du parti fondé en 1901.
Longtemps les radicaux ont formé non un parti, mais une nébuleuse aux contours souvent indistincts, comptant en leur sein des leaders prestigieux mais de formations diverses et inégales et de tempéraments parfois difficilement conciliables avec les exigences d’une action continue et prolongée. De plus, les conditions du militantisme politique ont sensiblement évolué tout au long du siècle et leurs changements ont entraîné des transformations du radicalisme et de ses modes d’expression, les campagnes aux lisières de la légalité de l’époque de la monarchie constitutionnelle et de certaines périodes du Second Empire faisant place à une intégration progressive au sein des institutions et à un développement de l’action électorale, puis parlementaire. « Tributaire d’influences importées en même temps qu’héritier de traditions nationales, le radicalisme constitue une composante de la vie politique française dont l’originalité et la plasticité n’ont pas besoin d’être soulignées… Les vicissitudes de la sémantique politique ont fait passer le radicalisme de l’extrémisme au juste milieu ; elles posent avec force le problème de l’identité et de la continuité des mouvements d’idées que les radicaux animent et incarnent ». Cette continuité recouvre et transcende des contradictions, car le Parti radical « assume la nécessaire fonction de marier le rêve à la prudence en offrant aux Français l’ivresse de voter à gauche et la sécurité d’être gouvernés par les centres ».
Le Parti radical s’est longtemps confondu avec le parti républicain : ce n’est qu’à l’issue de nombreux affrontements, des luttes les plus variées, des alliances et des ruptures les plus diverses que des radicaux ont acquis une individualité politique et se sont distingués de la tradition républicaine naturellement syncrétique. Ainsi l’histoire des radicaux est-elle celle d’une série de visages, de celui du radical de 1832, sensible au romantisme et attendant de l’instauration du suffrage universel la conquête pacifique d’une société idéale, au radical d’aujourd’hui, tiraillé entre des formations diverses et parfois « tenté de rentrer dans ses foyers ». Les radicaux se sont identifiés à toutes les luttes pour l’établissement puis pour le renforcement de la République, aux conflits sur la laïcité de l’État, sur l’impôt sur le revenu, sur le communisme, sur la Société des Nations (SDN), sur les attributions économiques de l’État, etc. À l’expansion conquérante du radicalisme de combat a succédé un radicalisme de gouvernement, qui s’est dilaté aux dimensions du cadre national avant de se rétracter, victime de ses déchirements et impuissant à surmonter une crise prolongée. À chacune de ces époques deux tempéraments se sont opposés, ceux qu’Albert Thibaudet illustrait en opposant les exemples de Clemenceau ou de Brisson et de Combes, le radicalisme de proconsulat au radicalisme de comités, mais un Caillaux, un Herriot, un Daladier ont affirmé des tempéraments de proconsul en sachant s’appuyer sur les comités. De Ledru-Rollin à Mendès France, en passant par Brisson, par Combes, par Pelletan, par Herriot, etc. et par bien d’autres personnalités de premier plan qui furent toutes contestées non seulement par leurs adversaires mais à l’intérieur même de leur parti, c’est tout un pan de l’histoire française depuis un siècle qui s’éclaire. « Les radicaux, écrit Jean-Thomas Nordmann, récusent l’exclusivisme au profit de la complémentarité, et préfèrent la communauté à l’unité ». Ils ont perdu beaucoup de leur influence, et ils n’ont pas été remplacés. Le parti radical renaitra-t-il une nouvelle fois de ses cendres ? Telle est la question que l’on se pose à la lecture de ce volume, qui apporte et suggère beaucoup. ♦