Souvenirs de guerre
Ces quelques pages du carnet de route de l’amiral Thierry d’Argenlieu nous laissent sur notre faim. Elles ne couvrent en effet qu’une courte période : de juin à décembre 1940. Le R.P. Louis de la Trinité avait entrepris la rédaction de ses souvenirs en 1952-1953, et ce sont sans doute ses occupations de Supérieur du Carmel, puis sa maladie, qui interrompirent son travail. Les éditeurs l’ont étoffé en utilisant quelques notes écrites de sa main relatives aux événements de janvier 1941 et en y ajoutant un certain nombre de documents dont il avait conversé copie.
La relation de l’amiral forme une sorte de triptyque. Le premier panneau est consacré à ce qu’on pourrait appeler une aventure spirituelle : sa résolution de s’évader (il avait été fait prisonnier par les Allemands à l’arsenal de Cherbourg) et de rejoindre l’Angleterre (il ne connaissait pas l’Appel du 18 juin), pour conserver sa liberté ; puis, sa décision de s’enrôler dans le petit groupe de Français libres qui se constituait à Londres autour du général de Gaulle, pour continuer ta lutte contre ceux qu’il savait au plus profond de sa conscience être les ennemis de la France. Il y a là quelques très belles pages d’introspection et d’analyse psychologique. Les deuxième et troisième panneaux sont consacrés à l’action : la tentative malheureuse de rallier Dakar à la France libre, les opérations couronnées de succès pour obtenir la reddition de Libreville. Bien que ces deux épisodes soient assez bien connus, certaines indications données par Thierry d’Argenlieu, surtout en ce qui concerne Dakar, sont, croyons-nous, nouvelles. Entre autres, contrairement à l’indication qu’on peut trouver dans les Mémoires du général de Gaulle, le demi-tour de la division des croiseurs vichystes sortie le 19 septembre de Dakar vers le Sud ne semble pas dû à une quelconque injonction par radio de l’escadre anglo-française, mais très simplement à un ordre de rappel reçu du Haut-commissaire Boisson alerté sur une tentative imminente de débarquement. Thierry d’Argenlieu nous livre également des réflexions très intéressantes sur les raisons auxquelles il attribue l’échec de l’opération, « conçue sous les signes de la multiplicité et de la complexité », exécutée sous celui de la confusion. Empressons-nous d’ajouter que cet échec n’ébranla en rien son entière dévotion à la personne du général de Gaulle, ni sa certitude absolue d’être dans le droit chemin.
La grande originalité de ces souvenirs guerriers, ce sont précisément ces retours sur soi-même et ces « stations » que le conteur sait se ménager pour réfléchir au sens de l’action, même lorsqu’il est entièrement engagé dans celle-ci. On retrouve là comme le reflet de sa vocation ecclésiastique qui, d’ailleurs, transparaît également dans le style, empreint d’une certaine onction et d’un léger dogmatisme. ♦