America’s Army in Crisis
Bien que conscients de vivre en France dans une démocratie qui accorde à ses citoyens une entière liberté d’expression, nous ne pouvons nous empêcher d’être étonnés en constatant combien les Américains nous devancent dans ce domaine. Voici un lieutenant-colonel d’active, au curriculum particulièrement brillant, agissant en plein accord avec ses chefs et en liaison étroite avec les chercheurs civils d’une association universitaire qui, publie une étude dans laquelle il découvre aux yeux du public tous les maux les plus alarmants dont souffre l’US Army, au risque même de porter atteinte à son image de marque ! Nous ne voulons pas nous demander comment on s’y serait pris en France pour étouffer la parution d’un tel livre – mais peut-être n’aurait-il jamais été écrit ? Sinon, il est certain que le scandale aurait été considérable.
Il n’y en aura cependant pas en Amérique, parce que les faits que signale l’auteur ont fait l’objet d’enquêtes publiques dont les résultats ne sont pas mis en doute par l’opinion et parce que ses critiques sont ouvertes et loyales : elles ignorent l’insinuation, le sous-entendu ou la calomnie.
Il n’est pas étonnant, au lendemain d’une guerre longue et meurtrière, aussi peu satisfaisante pour l’ensemble des Américains que le furent jadis pour nous nos guerres d’Indochine et d’Algérie, de voir les cadres de l’armée essayer de tirer la leçon des événements et s’interroger sur l’avenir. Au sein même de l’armée, le bilan du Vietnam est en effet très lourd. Il a fait surgir des problèmes graves et angoissants : la drogue, les tensions raciales, les crimes de guerre, la corruption, le carriérisme… Au sein de la société américaine prise dans son ensemble, ce sont la place et le rôle de l’armée dans la Nation ainsi que les missions confiées par celle-ci à celle-là, qui sont mis en cause et qui ont besoin d’être repensés de fond en comble.
Pour analyser cette crise de l’armée américaine, William L. Hauser a cherché très judicieusement à se référer à des précédents, et il en a trouvé des éléments aussi bien dans la Wehrmacht au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que dans l’Armée française après l’abandon de l’Algérie et dans l’armée britannique après la fin de l’Empire. Ces rappels lui donnent l’occasion de quelques rapprochements fort intéressants. Mais ce sont évidemment les éléments spécifiquement américains de la crise qui retiennent surtout son attention. La synthèse des uns et des autres lui permet enfin de formuler des conclusions sous forme d’idées personnelles sur l’organisation future souhaitable.
Nous sommes projetés avec ce livre en plein milieu des discussions animées qui opposent aujourd’hui aux États-Unis les militaires entre eux et ceux-ci aux politiques. Étant donné l’énorme importance des forces armées américaines dans l’équilibre mondial, ce sont là des problèmes qu’on n’a pas le droit d’ignorer en France. Il est souhaitable que le livre soit traduit en français pour en faciliter la diffusion. ♦