Autopsie d’une défaite. Origines de l’effondrement militaire français de 1940
La défaite de 1940 a frappé d’étonnement (au sens étymologique) non seulement les Français, mais les étrangers – dont nombre d’historiens se sont interrogés sur les causes de cet effondrement. Un universitaire suisse, Ladislas Mysyrowicz, enseignant l’histoire contemporaine à la Faculté des Lettres de Genève, vient de tenter d’apporter quelque lumière sur ce problème.
Remarque liminaire : son sous-titre répond beaucoup mieux au contenu du livre que le titre qui orienterait davantage vers une étude de la défaite proprement dite, ce qui n’est pas.
En réalité, cette autopsie d’une défaite est la radiographie de la pensée militaire française de 1919 à 1939, radiographie effectuée à travers une analyse de contenu très fouillée de la littérature militaire de l’entre-deux-guerres, essentiellement articles de revues militaires, articles de revues civiles rédigés par des officiers, livres publiés et aussi règlements. C’est ce qui fait l’originalité et l’intérêt de ce livre qui met désormais à la disposition du chercheur et du lecteur curieux une mine d’indications bibliographiques et de citations caractéristiques. Ajoutons toutefois qu’il peut paraître étonnant qu’il ne soit fait que très rarement allusion à des cours de l’École supérieure de Guerre (ESG). On pourrait en effet estimer que l’ensemble des cours professés à l’ESG entre les deux guerres, constitue le reflet fidèle de la pensée militaire officielle et est plus caractéristique que tel ou tel article un peu « farfelu » glané dans une revue à tirage confidentiel. Mais qui sait combien il est difficile, à qui est sur place, de reconstituer ces cours, pardonnera cette absence à un auteur étranger.
Cette analyse de la pensée militaire française s’ordonne autour de quatre pôles : une réflexion théorique (la guerre, art ou science ? ses méthodes d’approche : historique ou matérielle), le dilemme offensive ou défensive : le matériel, chars et avions ; l’armée de métier. Mais écrira l’auteur « Art militaire ou science militaire, armée de métier ou armée de conscription, stratégie offensive ou défensive, chars d’assaut ou fortifications, voilà chaque fois deux pôles dont la commune signification était : refus ou acceptation de la guerre d’usure ».
Il est bien évident que la pensée militaire française est, dans son ensemble, très marquée par la guerre d’usure et qu’elle n’échappe pas à ce souvenir, même en intégrant chars et avions. Elle est beaucoup plus rétrospective que prospective. Il est même étonnant que l’auteur, pour justifier son propos n’ait pas cité le rapport introductif à l’Instruction sur l’emploi des Grandes unités (1936), particulièrement révélateur et dont il suffit de citer cet extrait : « le corps de doctrine objectivement fixé au lendemain de la victoire par des chefs éminents venant d’exercer des commandements élevés, doit demeurer la charte de l’emploi tactique des Grandes unités ».
Ayant fouillé minutieusement, à différents niveaux, cette doctrine, ayant analysé ses dépendances sociologiques, économiques, l’auteur s’efforce, dans un dernier chapitre, de rechercher comment elle a reflété les aspirations et les craintes de la société ambiante. Il le fait à travers la production littéraire de l’époque, essentiellement citadine, et aussi à travers la pensée paysanne.
Intéressant, très sinueux dans son analyse, fourmillant de notations pertinentes, ce livre utile manque peut-être d’un essai de synthèse en guise de conclusion. Une note, en bas de la dernière page, l’annonce et l’esquive : « Nous n’insisterons pas sur la correspondance existante entre les conceptions stratégiques françaises : Ligne Maginot, incompréhension des problèmes posés par la mécanisation, défense du sol national, et l’idéologie paysanne française de cette époque ». ♦