L’objection de conscience
« Une prospective des rapports internationaux » annonce le sous-titre de cet ouvrage. Le critique, un peu lassé ces derniers temps de tant d’exercices de voyance, s’apprête avec résignation à en absorber une nouvelle mixture, dont il sait d’avance qu’elle sera à base de PNB, de tonnes d’acier par tête d’habitant, de croissance zéro et de courbes exponentielles de la population mondiale. Il se demande si le nouveau « modèle » proposé sera plus près des élucubrations de Madame Soleil ou des savantes statistiques d’Hermann Kahn. Qu’importe ! le critique prépare deux cachets d’aspirine et s’apprête courageusement à faire son devoir…
Surprise ! Le livre n’est pas du tout ce qu’il croyait ! Pas la moindre trace de conformisme ! Certes, le PNB et les « balances dollars » ne sont pas entièrement absents, mais la façon de mener l’enquête, de raisonner et de conclure de ces jeunes auteurs (un polytechnicien et un normalien de moins de 30 ans l’un et l’autre) sort décidément des chemins battus et frappent par quelque chose de primesautier et de détendu, de presque gai, bien que le sujet soit tout de même ardu, et traité, disons-le bien, avec infiniment de sérieux.
Tout part de cette idée – je schématise évidemment quelque peu – que l’avenir et le passé ne sont pas différents par nature : ce sont des épisodes d’une même histoire de l’homme. Ils s’inscrivent dans une même continuité historique. Il n’y a donc pas de raison de les « traiter » par des méthodes distinctes. La méthode historique suffit dans les deux cas, et la prospective peut parfaitement se passer d’intégrales et d’échelles logarithmiques.
Or l’histoire est un jeu. Le hasard en est le maître, autant et parfois plus que les hommes qui y prennent part. À partir d’une même situation, nombreux sont les scénarios possibles. La prospective d’Alexandre Faire et de Jean-Paul Sebord consiste à imaginer ces scénarios et à faire jouer la pièce devant nous. Au public, c’est-à-dire aux lecteurs, de juger, d’applaudir ou de crier : « crochet ». C’est sans doute pour cela qu’il s’amuse.
Ceci dit, il a bien fallu que les auteurs bâtissent un plan, c’est-à-dire règlent leur projecteur pour éclairer successivement et par tranches, les différents plans de la scène mondiale qui les préoccupe globalement. Cela donne quatre grands chapitres, consacrés aux États-Unis, à l’Europe, au Japon et au pétrole du Moyen-Orient. Pourquoi ce choix et cet ordre, pourquoi pas l’URSS, ni la Chine ? Il y a des raisons, subtiles, originales, intéressantes ; on les découvre en lisant ce livre. C’est le meilleur conseil que le critique, ravi de ne pas avoir eu besoin de ses cachets, croit pouvoir donner sans la moindre restriction et sans crainte d’être démenti, même par les gens les plus savants et les mieux avertis. ♦