1848 ou l’apprentissage de la République
Le sous-titre est essentiel. Car c’est bien autour du thème de l’« apprentissage » politique que tourne l’étude de Maurice Agulhon, professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne, huitième volume d’une collection qui s’affirme comme l’une des meilleures synthèses à l’heure actuelle accessibles au grand public. On pourrait toutefois se demander si ledit apprentissage n’a pas avant tout été plus encore que celui de la République, celui de la démocratie, à travers les premières expériences du suffrage universel.
Parenthèse ? Interlude – mais entre quels jeux… ? Pour avoir été moins glorieuse et plus éphémère encore que sa grande sœur de 1792, pour s’être suicidée en confiant son destin à un Louis-Napoléon, au lieu d’être assassinée résolument par Napoléon le grand, la Seconde République a subi les sarcasmes puis le silence gêné symétriquement des conservateurs effrayés par cette (tout apparente) irruption de la « canaille » dans la vie publique, et des « républicains de l’Empire », acerbes à l’égard d’un régime aux erreurs duquel ils pouvaient faire remonter leurs malheurs.
Au milieu de ce concert hostile, l’auteur, soucieux d’équilibre, va son chemin avec obstination et sait développer avec clarté sa propre argumentation, parfois iconoclaste. Après d’autres, il essaye de faire justice de quelques mauvais procès, portant sur l’« irréalisme » des initiateurs, leur « verbalisme », leur « faillite » finale, et tient à souligner la nouveauté de maintes attitudes mentales ou revendications qui nous paraissent aujourd’hui toutes naturelles, voire toutes marquées au sceau de la découverte de la « question sociale ».
Maurice Agulhon souligne l’importance, plus encore rétrospective qu’immédiate, des élections législatives de 1845, première consultation « moderne » du pays réel, à l’occasion desquelles s’ébauchent les premiers « partis » et, plus important encore, une carte politique qui, à l’exception surtout du Nord et de l’Alsace-Lorraine, variera finalement peu, quoi qu’on en dise, au long de la IIIe République.
Car l’originalité de cette contribution tient surtout à l’accent mis sur le rôle qu’a été soudain amené à jouer dans la vie politique française le monde provincial, c’est-à-dire, dans une large mesure, rural, élisant Louis-Napoléon en souvenir de l’Oncle, autant par refus du « bourgeois » que par souci d’ordre, puis, dans quelques zones limitées, prenant les armes pour défendre la « démocratie sociale » au lendemain du Coup d’État – jusqu’à contrôler un département entier alors que toute velléité de soulèvement parisien a été étouffée. Sur ce plan, la démarche de l’auteur prend place tout naturellement dans la continuité des recherches récentes de l’« épaisseur » sociale de la communauté française, dont témoignèrent en leur temps les travaux de Georges Lefebvre et Albert Soboul sur la première Révolution.
Ambiguïté d’un suffrage universel récupéré par ceux-là mêmes qu’il prétendait abaisser et d’une République qui semble se désagréger dès qu’elle sort du provisoire pour s’installer dans le parlementaire, mais aussi approche sincère d’une démocratie sociale sans Terreur et d’une République sans Empereur, dont la marque ne s’effacera jamais complètement, ces constatations et bien d’autres encore sont autant de traits contrastés soumis à la réflexion du lecteur par le solide petit livre de Maurice Agulhon. ♦