Idylle sino-cubaine, brouille sino-soviétique
Voici un ouvrage de recherche historique, original, plein de vitalité et d’entrain. Il ne correspond pas du tout à ce qu’on s’attend d’habitude à trouver dans l’austère collection de la Fondation nationale des Sciences politiques (FNSP), spécialisée dans la publication de thèses scientifiques, rigoureuses, quelque peu solennelles et, à vrai dire, rarement distrayantes. Ici rien ne rappelle le pensum sur commande. L’auteur est sincèrement passionné de son sujet et il sait communiquer cette passion au lecteur.
L’aventure qu’il nous conte, et dont il a très minutieusement et très scientifiquement reconstitué les épisodes, se situe entre 1958 et 1962, c’est-à-dire entre la Révolution cubaine et le retrait des fusées de l’île. Les protagonistes en sont Fidel Castro, Mao Tsé-toung et Krouchtchev. L’enjeu : l’unité du monde communiste.
La thèse de l’auteur (dans la mesure où il en a une, car ce qui l’intéresse, plutôt que de philosopher, c’est de faire revivre pour lui-même et pour le lecteur les événements et les hommes) peut se résumer comme suit. La révolution cubaine « insouciante, fougueuse, prolixe et généreuse… caribéenne en diable, antibureaucratique, anti-académique et antidogmatique » a fait un jour irruption dans le monde communiste en forçant les portes et en bouleversant les hiérarchies et traditions existantes. L’accueil à lui faire a posé un problème difficile qui a exacerbé les malentendus déjà latents entre les deux grands du socialisme : l’URSS et la Nouvelle Chine. Le choix d’une attitude a été, en outre, le révélateur de bien des contradictions internes dans chacun des deux pays. Le grand remue-ménage qui s’est ensuivi a précipité la crise des relations sino-soviétique. Jusqu’au début de l’automne 1962, on a pu se demander si la Nouvelle Cuba n’allait pas s’ériger en arbitre de cette crise en devenant le troisième pôle d’un monde communiste d’ores et déjà bicéphale.
En nous narrant – avec quelle verve ! – cette « histoire de famille », Cheng Ying-Hsiang se place le plus souvent au point de vue des Chinois. Non qu’il ait la moindre complaisance pour les thèses de Mao Tsé-toung ! Mais parce qu’il estime que la Chine occupait à l’époque une position charnière entre la Russie, de trente ans son aînée dans la marche vers le socialisme, et Cuba, sa cadette de dix ans. Mais peut-être aussi, parce que la psychologie chinoise lui est plus proche et partant, plus compréhensible.
Quoi qu’il en soit, ce qui est remarquable dans cet ouvrage c’est que l’érudition de l’auteur ne brime en rien son imagination. Il n’y a pas de meilleure façon d’écrire l’Histoire. ♦