De la Marine à la Justice
Guy Raïssac est un magistrat que ses succès professionnels, attestés par une brillante carrière, n’ont pas détourné d’une vocation d’écrivain et d’historien à laquelle il s’est, depuis quelque temps, entièrement consacré. Les sujets qui paraissent l’attirer – une étude sur le général Weygand, le différend Pétain-de Gaulle, en témoignent – sont choisis dans un passé très récent, avec le désir d’apporter sur des événements controversés et qui ont soulevé maintes passions le témoignage et le résultat des recherches d’un homme qui ne se sent intellectuellement engagé ni d’un côté ni de l’autre.
C’est cette tonalité générale d’objectivité intellectuelle, qui n’exclut cependant pas quelques ardentes convictions, qui domine dans son dernier ouvrage dont le « matériau » est constitué par des « carnets de route » tenus au jour le jour pendant la drôle de guerre d’abord, et plus tard pendant la libération de Paris. S’il est question de la Marine dans le titre, c’est que l’auteur y avait fait en 1935 (par dérogation spéciale à l’époque) son service militaire, et qu’il fut, à la mobilisation, affecté à l’Amirauté, installée, aux ordres de Darlan, à Maintenon. Les carnets de route de cette période ne font donc mention d’aucune opération navale, mais décrivent d’une façon pittoresque le labyrinthe administratif au centre duquel siégeait l’Amiral de la Flotte, préoccupé du destin de la Marine, au moins autant que de son avenir propre. Quant à la Justice, il s’agit surtout, à l’occasion des péripéties de la Libération, d’un portrait biographique du Procureur général Pierre Caous qui avait été sous l’Occupation, désigné par Pétain pour présider la Cour de Riom, et plus tard pour faire partie du Collège qui devait « en cas d’empêchement » assurer la succession du chef de l’État français. Guy Raïssac connaissait bien ce « Seigneur de la Justice » comme il l’appelle, pour avoir longtemps travaillé sous ses ordres, et l’admiration qu’il lui a vouée a été renforcée par la grande dignité avec laquelle celui-ci a accepté le désaveu qui lui fut infligé par la suite.
Tout ceci – moitié souvenirs, moitié réflexion – est écrit dans un style alerte et bien venu qui réussit très bien à retenir l’attention du lecteur et à lui faire passer quelques heures agréables dans l’évocation des souvenirs d’un récent passé. ♦