Les pirates à Madgascar
La piraterie est vieille comme les navires, nous dit Hubert Deschamps. Certains faits divers nous portent à croire qu’elle est éternelle. Elle s’est contentée, pour survivre, d’établir sa coupable industrie dans un autre élément. Lorsqu’il n’y eut plus, dans les riches eaux des Caraïbes, de galions à piller ni d’Espagnols à pourfendre, les « gentilshommes de fortune » se virent obligés de la chercher ailleurs. Ce faisant, ils troquèrent les Indes occidentales contre les Indes orientales, et les Mascareignes, les Comores et surtout Madagascar leur offrirent des havres aussi hospitaliers que les criques antillaises.
C’est l’histoire de ce joli monde et de ses tribulations que les éditions Berger-Levrault nous proposent aujourd’hui dans une collection nouvelle : « Récits, biographies, documents ». L’auteur de ce livre aussi divertissant que documenté dessine, avant que de l’animer, l’image d’un héros qui nous apparaît, et cela est bien satisfaisant pour l’esprit, absolument conforme à l’archétype hollywoodien ou au travesti de mi-carême : hirsute, bardé d’espingoles et de sabres à coquille, grand enfouisseur de trésors. Mais contrairement à l’idée reçue, cet amoureux de l’exceptionnel qu’est le pirate n’est pas toujours l’écumeur d’océan sans foi ni loi. À côté de l’épouvantable capitaine Kid et un essaim de petits malfrats plus ou moins sanglants, l’on rencontre en effet quelques personnages que n’eut pas reniés l’abbé Delille. Tels Misson et Caraccioli qui, après avoir confirmé le mythe du bon sauvage, créèrent celui du bon pirate, en fondant dans la grande Île une république idéale, Libertalia ; tel l’excellent Nathaniel North.
Mais, nous dit encore Hubert Deschamps, la piraterie vieillit comme toutes les institutions humaines et Madagascar, dernier décor de ses tristes activités devint, dès 1775, une maison de retraite pour forbans repentis.
Sans tirer une morale de cette très immorale histoire, son auteur prétend qu’il lui suffit de l’avoir racontée. « Elle est assez déplorable (le crime ne profite jamais) pour garder la jeunesse de tout entraînement vers une carrière qui paraît avoir fait son temps »… Voire !
En tout cas, voici un ouvrage lestement troussé, savoureux, succulent même. Sa dédicace à Pierre Mac Orlan laisse bien augurer de sa substance. Il eût pu aussi bien être dédié à Stevenson, à Edgar Poe, à Henry de Monfreid et à tous ceux qu’a tentés l’aventure ou qu’amuse encore l’aventure des autres. ♦