Le système totalitaire
Cette nouvelle traduction en français (1) d’un ouvrage de Hannah Arendt confirme l’audience internationale de plus en plus large acquise peu à peu par ce penseur réfléchi et ce connaisseur profond de la science politique contemporaine.
Dans une précédente critique (janvier 1973) nous rappelions que Hannah Arendt, née à Hanovre en 1906, avait fait ses études en Allemagne et qu’elle avait été contrainte de fuir les persécutions raciales des Nazis en 1935, pour se réfugier d’abord en France, puis, en 1941, aux États-Unis, pays dont elle a depuis adopté la nationalité. C’est peut-être l’origine politique de ces vicissitudes personnelles qui l’ont rendue si attentive aux idéologies, aux courants d’opinion et aux problèmes que pose la vie en société.
Dans le présent ouvrage (qui est la troisième partie d’une œuvre beaucoup plus vaste : The origins of Totalitarism) l’auteur étudie le fonctionnement des deux régimes, le régime hitlérien et le régime stalinien, qui sont, estime-t-elle les deux seuls exemples d’une expérience totalitaire pleinement vécue depuis l’origine des sociétés humaines. (Elle ne veut pas encore, à juste titre, nous semble-t-il, se prononcer sur le cas de la Chine). Mais pour les deux pays qui l’intéressent et où la page du totalitarisme est maintenant tournée, elle pense que nous disposons aujourd’hui de plus de documents et de témoignages qu’il n’en faut à l’historien, au sociologue et au philosophe, pour se faire une opinion et porter un jugement définitif.
L’approche de Hannah Arendt ressortit d’ailleurs aux trois disciplines mentionnées ci-dessus, et son analyse nous a paru d’une extrême finesse, tout en restant simple et claire, confirmant ainsi son incontestable talent d’écrivain (auquel elle doit certainement une large part de son audience auprès du grand public).
Cette analyse et les appréciations portées sont évidemment impitoyables. Qu’il s’agisse de la propagande totalitaire, de l’État totalitaire en tant que doctrine, des instruments de cet État que sont la police secrète ou le camp de concentration, tout, sans exception, nous apparaît abject et soulève le cœur.
Il s’agit pour Hannah Arendt d’un type de régime entièrement nouveau. « Le totalitarisme diffère par essence des autres formes d’oppression politique que nous connaissons, tels le despotisme, la tyrannie et la dictature ». Il trouve son origine et sa force dans « une combinaison d’idéologie et de terreur… qui n’a jamais été réalisée auparavant dans les diverses formes de domination politique ». Mais tout danger est-il pour autant passé ? L’auteur ne le croit pas. Le régime totalitaire « constitue un danger toujours présent et ne promet que trop d’être désormais notre partage, comme tous les autres types de régime, qui apparurent à différents moments de l’histoire sur la base d’expériences fondamentales différentes, ont été le partage de l’humanité en dépit de défaites temporaires – les monarchies et les républiques, les tyrannies, les dictatures et le despotisme ».
« Mais… chaque fin dans l’histoire contient nécessairement un nouveau commencement, ce commencement est la seule promesse, le seul message que la fin puisse jamais donner… ».
Espérons, avec l’auteur, que ce message sera entendu. ♦
(1) Par Jean-Loup Bourget, Robert Davreu et Patrick Lévy qui ont fait un travail à tous égards remarquable.