La conquête morale de l’Allemagne
Tout serait à approfondir, à méditer et souvent à appliquer dans le livre qu’Émile Ludwig – l’auteur universellement connu de tant d’œuvres politiques, biographiques ou littéraires – a consacré au problème qui nous tient particulièrement à cœur, le problème allemand. Il est comme nous, d’avis que la conquête militaire et matérielle de l’Allemagne ne saurait être que précaire si elle ne se doublait pas de sa conquête morale.
Avec une franchise que nous qualifierions presque de cynique, l’auteur, qui connaît bien ses compatriotes et est loin de les mépriser, nous donne de leur caractère, de leur tempérament, une analyse impitoyable de vérité. Il nous montre comment, depuis bien longtemps, l’âme allemande a été pervertie par de mauvais guides ; comment un peuple presque tout entier s’est laissé intoxiquer et naïvement persuader qu’il avait droit à l’hégémonie mondiale. Mais, ce qui est, plus encore que le diagnostic, intéressant dans ce livre admirablement traduit par Raymond Henry, autre spécialiste parfaitement compétent des problèmes allemands, ce sont les remèdes. Émile Ludwig n’y va pas, comme on dit familièrement, par quatre chemins et il les propose avec une franchise brutale, témoins les traitements qu’il réserve aux principaux parmi les responsables de la situation morale actuelle de l’Allemagne : les professeurs. Si l’on licencie tout de suite 1 000 professeurs, dit-il, par exemple, en leur assurant à chacun une retraite de 5 000 marks pour qu’ils n’aient plus le droit de corrompre la jeunesse, il en coûtera 20 millions de marks par an. À la mort du dernier universitaire ayant enseigné sous Hitler, la dépense totale aura été de moins de 400 M de marks, à peu près le coût d’une semaine de guerre.
Émile Ludwig ne plane pas, d’ailleurs, dans l’empirée. De deux théories abstraites, il s’abaisse à la pratique, à la pédagogie. Il indique les matières d’enseignement qui doivent être particulièrement rénovées en Allemagne : l’histoire et la géographie, replacées, enfin, sur le plan international. Il demande que l’on mette sous les yeux des enfants et des adultes les atrocités que la plupart des Allemands veulent ignorer, sans se soucier de ménager les nerfs. Il dresse, à l’usage des autorités et des forces militaires, un véritable guide du « parfait occupant », une liste de « gaffes » a ne pas commettre dans la vie journalière. Enfin, il revendique, au bénéfice de l’Allemagne de demain, de la génération prise en main à cinq ans aujourd’hui, les guides spirituels qui doivent de nouveau lui frayer la route de la rédemption : les Lessing, les Kant, les Beethoven, les Schiller et, surtout, le plus grand d’entre eux : Gœthe.