Bilan de l’histoire
M. René Grousset, de l’Académie française, a consacré la plus grande partie de sa carrière à l’étude des problèmes extrême-orientaux, ainsi qu’à l’histoire des Croisades et du royaume franc de Jérusalem. Il vient de couronner ses vastes recherches par une vue d’ensemble que, seul, un historien de cette culture et de cette qualité, pouvait prendre sur l’histoire générale de la civilisation humaine. C’est, en effet, une belle fresque une sorte de « Discours sur l’histoire universelle », mais à la mode du XXe siècle, que déroule sous nos yeux ce grand chercheur, si curieux de toutes civilisations extra-européennes, qui se révèle en même temps ici, plus encore qu’en aucun de ses livres, un profond penseur et philosophe. Il n’est pas possible de résumer en quelques lignes des pages de pareille densité.
La première partie de ce livre, « mesure de la civilisation », contient, en une centaine de pages, une synthèse véritablement magnifique de tout ce qu’un honnête homme, au courant des dernières recherches de la science, de la pré- et, dirons-nous, post-histoire, est en droit de savoir aujourd’hui. Nous parcourons avec René Grousset les milliers et millions de siècles que constitue l’histoire humaine et, d’un coup d’aile, passons de l’homo sapiens à la vision effroyable, d’ailleurs, du conflit armé qui pourrait menacer les continents si l’Eurasie, l’« Empire prolétarien », d’un côté, et, de l’autre, l’hémisphère occidental, l’« Empire des Affaires » venaient à se heurter. René Grousset, bien que chrétien sincère, ne pèche pas, il faut l’avouer, par excès d’optimisme : il se rallie à la doctrine désenchantée de Paul Valéry sur la précarité des civilisations. « Nous autres civilisations, disait ce grand penseur, nous savons maintenant que nous sommes mortelles, nous savions bien que toute la terre apparente est faite de cendres, que cendre signifie quelque chose. Elam, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues et la ruine totale de ces mondes avait aussi peu de signification que leur existence même. Mais France, Angleterre, Russie, ce seraient aussi de beaux noms… »
René Grousset ne se borne pas à ces visions apocalyptiques. Il donne, dans les chapitres relatifs à l’apport de l’Asie, aux images religieuses d’Orient et d’Occident, à Europe et Asie, et à la source des invasions, des aperçus historiques, psychologiques, religieux et artistiques, dont était seul capable un pareil connaisseur des problèmes orientaux et chinois. Enfin, le livre s’achève sur deux belles méditations : l’une aboutissant à une confession de foi chrétienne, l’autre en l’honneur d’un pur savant français, Joseph Hackin, qui fut son collaborateur au Musée Guimet, un des maîtres de l’histoire irano-bouddhique, et qui venait de s’embarquer avec sa femme pour une mission en Asie, que lui avait confiée le général de Gaulle, quand, le 24 février 1941, il fut torpillé au large du cap Finistère, « ses yeux clairs fixés sur le large, face au péril ».