Chances de l’Économie française
Le livre que M. Alfred Sauvy vient de publier arrive à son heure. Il ne se dissimule point à quelles difficultés devrait faire face l’économiste idéal. Homme de grand savoir et de bon sens, M. Alfred Sauvy essaie de concilier les exigences contradictoires d’une économie libérale ou tout au moins, telle qu’elle se présente à nous, qui s’est développée sans plan préconçu, au gré des intérêts privés, et du besoin de changement profond qui apparaît de toutes parts.
La grande majorité des Français, dit-il, n’est pas libérale (économiquement s’entend), et ne l’a jamais été. Elle a subi le libéralisme, défendu surtout par des théoriciens doctrinaires et des praticiens bénéficiaires. Mais cette même majorité (ce n’est pas la même, bien entendu) se montre réservée devant la perspective d’un collectivisme intégral, quelque peu intimidant. Depuis plusieurs années, la société erre à la recherche d’un heureux compromis. Rien n’est plus instructif et plaisant que d’errer à la suite d’un pareil guide et d’un pareil maître. Toutes les espèces de l’économie sont passées par lui en revue : agriculture, industrie, énergie motrice, monnaie, finance, impôt, répartition des richesses.
M. Alfred Sauvy est, d’ailleurs, constamment guidé par une préoccupation essentielle : voir clair. Cet ancien directeur de l’Institut de conjoncture, ce secrétaire général à la Famille et à la Population veut fonder une réforme solide sur la connaissance exacte de faits démographiques et économiques. Pour lui, une grande partie du problème sera résolue le jour où les Français auront enfin compris le mal qu’a fait au pays le malthusianisme. Il n’est pas pessimiste mais il ne nous ménage pas la vérité et ne semble pas débordé d’optimisme quant à notre « héroïsme ». « La France attend, dit-il, et elle s’écoute… Blessée, certes, mais “douillette” ». M. Alfred Sauvy proteste contre ce lâche laisser-aller et veut commencer, avant toutes choses, par faire la lumière, par dresser le vaste inventaire qui doit servir d’assise à toute reconstruction.