Premier round au Pacifique
Le livre de Relman Morin – Circuit of Conquest – intelligemment traduit de l’anglais par Hélène Claireau, fournit un nouvel exemple du grand journalisme de reportage anglo-saxon qui fait si cruellement défaut à notre pays. Où trouver, en effet, des journaux assez puissants, assez riches, pour envoyer, pendant des mois entiers, un plénipotentiaire en Extrême-Orient, pour lui laisser une liberté de mouvements quasi totale et ne lui imposer d’autres consignes que celles d’envoyer à temps des dépêches sur les événements importants qu’il constate ou devine, et de dire, en des articles pleins de franchise et d’humour, ce qu’il tient pour la vérité ?
À cet égard, M. Relman Morin a véritablement accompli un voyage magistral à la veille du déclenchement de l’Amérique dans la guerre contre le Japon, il a vécu dans ce pays même, au moment où il sentait mûrir, dans les milieux militaires, la volonté de rapine et de guerre de conquête. Rien, des intrigues diplomatiques et policières, au milieu desquelles il se meut avec aisance, ne paraît lui avoir échappé. Du Japon, il passe au bon moment à Singapour. Il y est frappé par l’atmosphère de luxe, d’inconscience et de laisser-aller où baignent les civils gavés et les militaires généralement futiles. Il sent le danger que court la grande place forte du côté de la terre, alors que ses canons sont braqués sur la mer.
Passionnantes sont également les impressions de l’auteur en Indonésie. Il rend aux Hollandais, qui s’attendent à l’attaque japonaise et s’y préparent comme ils peuvent, le plus juste hommage, et une figure comme celle de M. van Moole se détache en pleine lumière dans son livre. Lorsque les Japonais vont pénétrer en Indochine, l’audacieux reporter trouve moyen, en passant par la Thaïlande, de franchir sa frontière au prix de difficultés incroyables, dignes du meilleur roman d’aventures. Il assiste, en personne, à l’entrée des Japonais en Indochine, et ses observations, cruelles, mais justes, sont une sévère condamnation du régime de Vichy. Il y est retenu prisonnier par les Japonais au moment où ceux-ci triomphent à Pearl Harbour. Son livre se termine sur une espérance, qui ne devait pas être trompée, dans la victoire des peuples libres.