Cent millions de morts
Au sortir de ces cinq années de guerre, on est étonné et même un peu humilié de constater la résignation qui paraît régner en cette matière. Alors qu’après 1918 un grand espoir de paix soulevait l’Humanité, l’opinion générale semble aujourd’hui admettre le caractère inévitable de la guerre et s’attendre à de nouveaux conflits, dont elle se hâte de désigner les protagonistes. M. Gaston Bouthoul attribue ce découragement au fait que nous en avons toujours agi trop présomptueusement vis-à-vis de la guerre. Alors que dans toutes les sciences on sait que la connaissance des phénomènes ne nous est pas offerte avec facilité, mais ne peut être atteinte qu’au terme de recherches patientes, les hommes ont toujours discuté des guerres et de leurs causes comme s’ils en avaient une intuition directe et miraculeusement exacte. Il est temps, dit l’auteur, que nous prenions conscience de cette situation et que, écartant toutes les idées préconçues, nous nous résignions à voir dans les guerres un phénomène social encore inexploré.
Le principal objet de cet intéressant essai est d’indiquer un certain nombre des biais par lesquels on peut approcher l’étude objective des guerres. Et ce faisant, il trace les linéaments d’une science nouvelle à laquelle il propose – pour la distinguer de la « science de la guerre » qui traditionnellement désignait plutôt l’étude de la stratégie, de la tactique, etc. – de donner le nom de « polémologie ». L’auteur insiste sur trois points. Tout en estimant que les guerres sont un fait trop complexe pour n’avoir pas de causes multiples, il est d’avis que le facteur principal est d’ordre démographique. Sans doute ce n’est pas là une idée nouvelle, puisque la thèse de la guerre par surpeuplement a été exprimée déjà dans l’antiquité. Mais il introduit, des distinctions importantes à ce sujet qui renouvellent, on peut le dire, l’aspect du problème, notamment en faisant prédominer dans la genèse probable de l’impulsion belliqueuse, la notion de structure démographique sur celle du nombre. Le second point est le caractère périodique qu’il attribue aux guerres en l’illustrant de considérations historiques et de parallèles frappants avec certaines grandes migrations, elles aussi périodiques, que l’on rencontre dans le règne animal.
Signalons aussi d’intéressantes analyses de la fonction biologique des guerres, de la pression démographique et des raisons proposées pour expliquer la terrible ampleur des destructions actuelles.