Les trois grands et la bombe atomique
Notre collaborateur René Lauret a publié un petit livre où il reste fidèle à la méthode d’objectivité qui inspire ses enquêtes, ses études et ses articles de presse. Germaniste d’origine et de spécialité, c’est un des meilleurs connaisseurs du problème allemand, tel que l’a posé la victoire des Nations alliées, qui constitue l’essentiel et comme le « test » du problème plus général de la paix mondiale.
René Lauret est un réaliste, et, par sa méthode, rappelle les meilleurs de ses émules en politique étrangère de l’école anglo-saxonne. Pour lui, la politique extérieure s’est trop souvent réclamée de traditions prétendues nationales, le plus souvent périmées, et de principes tirés de situations depuis longtemps disparues. Ce qui paraissait fait immuable au milieu du changement général ne répond plus, selon lui, à rien de réel ni de vivant. Pour l’auteur, une des leçons de la dernière guerre est, par exemple, la disparition du concept traditionnel des frontières naturelles ; le seul facteur géographique qui compte reste celui des grands espaces. La notion d’ennemi héréditaire a également évolué avec le temps. Si l’esprit français restait fixé sur Bismarck, Guillaume II et Hitler, nous risquerions d’être absorbés par un bloc germano-russe. Une fiction qui contribua à entretenir bien des illusions est celle des Nations unies. La Conférence de San Francisco prétendait fonder la paix du monde sur l’accord des grandes puissances, celles-ci n’offrent aujourd’hui que le spectacle de leurs querelles.
Deux grandes réalités constituent la base de la politique mondiale : la rivalité des trois Grands, la bombe atomique. René Lauret ne croit pas à l’imminence ou à la fatalité d’une guerre russo-américaine, mais la grande énigme de demain reste le sort de l’Allemagne. De quel côté penchera-t-elle ? Se divisera-t-elle entre la Russie et les puissances occidentales ? L’Allemagne est le creuset où se fondra l’Europe nouvelle ; la bombe atomique est l’autre élément fondamental de la politique universelle.
René Lauret ne cède cependant pas au découragement. Même si une grande puissance refuse tout contrôle atomique, il envisage la création d’une ligue atomique en dehors de l’ONU à laquelle adhéreront volontairement toutes les nations disposées à accepter ce contrôle. Ne soyons pas pessimiste quant au sort de l’humanité. La paix ne naîtra pas d’un congrès, d’une conférence ou d’une charte ; c’est une œuvre de longue haleine qui exigera la solution de cent problèmes, la collaboration de millions d’hommes. Telle est, trop brièvement résumée, la doctrine, à la fois prudente et généreuse, d’un spécialiste averti des problèmes et des difficultés de la politique internationale.