L’An Zéro de l’Allemagne
L’auteur déclare dans l’introduction qu’il veut faire sur l’Allemand et l’Allemagne de l’An Zéro un ouvrage « concret ». Sans chercher des explications psychologiques ou idéologiques dans le passé sur l’âme allemande, il étudiera l’Allemagne dans le présent, à son nouveau départ vers l’avenir. Il a tenu parole. Son livre n’expose que les problèmes actuels et il est d’une rare précision. C’est l’un des plus clairs et des plus complets qui ait été publié dans ces derniers temps. M. Morin n’est pas pessimiste. La moyenne allemande, selon lui, ne croit à rien aujourd’hui, ni au nazisme ni à la démocratie ; elle a conservé des habitudes nazies plus que des convictions. Il y a donc espoir de la former en sachant la prendre. Il faut lier le problème de la rééducation à celui de l’action, faire participer les jeunes à tous les travaux, cette fois dans l’intérêt de la paix. L’Allemagne attend un nouveau Bismarck. « Ce qu’il lui faut, ce n’est pas un homme providentiel, mais une grande idée, une grande espérance, une force conquérante de liberté et de paix : celle qui anime les anti-fascistes allemands, les vrais anti-fascistes, c’est-à-dire les vrais socialistes. » C’est le syndicalisme qui amènera la régénération de l’Allemagne.
Actuellement, on ne peut parler de socialisme pour l’Allemagne. Il est vain de réclamer la soviétisation de l’Allemagne, alors que ni le peuple allemand, ni la majorité des alliés ne sont décidés à s’engager dans cette voie : c’est ce qu’a compris l’URSS qui cherche à instaurer en Allemagne une démocratie mi-bourgeoise, mi-ouvrière, débarrassée des trusts, des vestiges du fédéralisme prussien et du militarisme. Une telle solution est un compromis. C’est ce compromis qu’imposent les faits : « Vouloir aller au delà est faire preuve d’utopie, vouloir rester en deçà est faire preuve d’esprit rétrograde. » La France démocratique et sociale peut, dans la zone qu’elle dirige, beaucoup emprunter à une telle politique.
Telles sont les grandes lignes de l’ouvrage. Il renferme des observations très nuancées sur les partis allemands et sur la politique des Alliés dans les différentes zones. La tendance en est nettement socialiste. L’auteur le déclare lui-même. C’est le régime instauré en zone russe qui lui semble avoir le plus d’action. Au point de vue tendance, le lecteur jugera ce livre
d’après ses propres convictions, mais il y trouvera ample matière à réflexion.