Les sentiers de la paix. Algérie 1958-1962
L’ouvrage de Bernard Tricot n’est pas un « livre de plus » sur le général de Gaulle et sur l’affaire d’Algérie. Il est très différent, quant au fond et à la forme, de tout ce qui est paru sur ces sujets au cours des dernières années, qu’il s’agisse de souvenirs, de confidences, d’indiscrétions, ou de cette simili-histoire des temps présents où se complaisent, à notre époque, éditeurs et journalistes.
Il s’agit avant tout, peut-être même essentiellement de par une intention délibérée de l’auteur, d’un ouvrage technique. Son but est de décrire, à propos de l’affaire d’Algérie, comment ont fonctionné, au cours de cette crise, les différents rouages de l’État. Car ce qui était connu : les décisions officielles et les textes de lois, les discours et déclarations du général de Gaulle, le libellé des questions soumises à référendum… n’était, en fait, que la partie émergée, seule visible, d’un iceberg, dont la flottaison n’a pu être assurée que grâce à une infrastructure cachée, mais impressionnante, de minutieux travaux préparatoires, d’études complexes et exhaustives, d’enquêtes approfondies et de contacts diversifiées. On imagine mal ce qu’il a fallu de réflexions et de compétences à tous les échelons de l’administration pour prendre parti, à propos de tel ou tel texte, sur la place d’une virgule, sur l’emploi d’un mot de préférence à un autre, ou sur l’opportunité d’une ambiguïté délibérée. Cette exceptionnelle vigilance devait s’exercer dans tous les domaines : droit, économie, finances, défense nationale, psychologie… L’impulsion venait de l’équipe de techniciens dont le Général s’était entouré à l’Élysée ; mais, au-delà, tous les rouages administratifs étaient mis en mouvement. Leur fonctionnement, nous dit Bernard Tricot, fut, pour l’essentiel, exemplaire.
Mais bien sûr, s’agissant d’un problème national aussi grave, il n’était guère possible d’étudier ce fonctionnement comme s’il s’était agi seulement d’une mécanique abstraite. L’élément humain et affectif, à tous les échelons et chez de Gaulle tout le premier, jouait un rôle prépondérant, et ce rôle Bernard Tricot s’est efforcé, tout au long de son livre, de le mettre en lumière avec un maximum d’objectivité. C’est sans doute la raison pour laquelle il a renoncé à donner à son ouvrage la forme – trop subjective – de souvenirs. Au poste qu’il occupait, un journal au jour le jour risquait forcément de refléter, de sa part comme de la part des autres, trop d’opinions conjoncturelles, d’hésitations passagères, d’erreurs circonstancielles, qui n’avaient pas, dans une perspective plus large, de signification réelle. Mieux valait prendre, par rapport aux péripéties, un certain recul, si l’on voulait faire ressortir, au-delà du quotidien, le sens profond et la philosophie de l’action commune.
Mais, restait à s’interroger sur la valeur de cette action quant aux résultats atteints. La politique suivie pendant quatre ans et qui devait aboutir à l’indépendance de l’Algérie était-elle la bonne ? Y en avait-il d’autres, meilleures ? Et lesquelles ? C’est une réponse à ces questions que Bernard Tricot nous propose dans les derniers chapitres de son livre. Mais cette fois c’est sa réponse – et il nous en prévient loyalement. Il ne nous appartient pas dans cette revue de prendre position ; bornons-nous à signaler que jamais, à notre connaissance, la solution gaullienne de ce problème n’a trouvé de défenseur aussi éloquent, aussi sincère, aussi convaincu et, à vrai dire, aussi convaincant, que Bernard Tricot. ♦