L’expérience chilienne
Au mois de novembre 1970, succédant à Eduardo Frei tenant de la Démocratie chrétienne, Salvador Allende faisait triompher l’Unité populaire en étant élu président de la République chilienne.
Son gouvernement prenait aussitôt un train de mesures dont beaucoup devaient avoir un écho passablement bruyant : en Amérique latine que l’on sait toujours prête à résonner, aux États-Unis où l’irritation causée par la nationalisation massive des biens impérialistes cède peu à peu à une résignation « active », en France enfin où M. François Mitterrand proclamait que l’« expérience chilienne » s’annonçait comme un modèle du genre… sans toutefois préciser lequel. Mais il apparaît que nos hommes politiques et les journaux par lesquels ils s’expriment n’ont retenu de la « voie chilienne » que les parcours sans obstacles.
Alain Labrousse, dans son examen microscopique de l’Unité populaire, a deux propos : vérifier si le passage au socialisme marxiste dont se prévaut M. Allende peut se dérouler pacifiquement ; déterminer si l’expérience en cours est exportable.
Pour ce faire, il analyse, dans les péripéties essentielles, le Chili « dépendant » de 1936 à 1964, celui de la Démocratie chrétienne dont les efforts ne parviennent pas à éloigner de l’économie nationale les sollicitudes américaines. Il nous dit enfin comment la campagne électorale de 1970 a pu se terminer par le succès de Salvador Allende. Toutefois, le siège qu’il occupe, s’il est relativement stable, est loin d’être un modèle de confort. Certes, l’Armée qui – si paradoxal que cela puisse paraître – a gardé ses attaches avec le Pentagone, est loyale ; certes l’Église chrétienne, si elle se pose en anti-marxiste, se réclame de l’anti-capitalisme et la coalition de la gauche, malgré des menaces de clivage, reste cohérente. Mais l’opposition est puissante, attentive aux faux pas nés d’inévitables contradictions. Les extrémistes de toute nature constituent des détonateurs sensibles. Alors, réformisme ou révolution ? L’auteur de cet excellent livre pense que la conquête du socialisme au Chili est inéluctable. Voire ! L’avenir nous dira si Salvador Allende, dont on doit reconnaître qu’il fait face aux difficultés que lui créent aussi bien ses partisans que ses ennemis, peut poursuivre sa tâche sans recourir aux douteuses commodités de la manière forte. ♦