De l’aide à la décolonisation. Les leçons d’un échec
Point n’est besoin de présenter Tibor Mende au public informé. Les études économiques et sociales, toujours complétées par des réflexions d’ordre philosophique, qu’il a consacrées depuis 20 ans aux pays du Sud-Est asiatique et à l’Amérique latine, ont à l’étranger comme en France, une large audience amplement justifiée par la vaste information de l’auteur quant aux sujets traités, par ses idées originales et neuves, et par l’intérêt passionné qu’il porte aux problèmes du Tiers-Monde.
Le titre de son dernier ouvrage : De l’aide à la recolonisation, constitue en lui-même, et dès l’abord, une prise de position. Il s’agit, en fait, du problème très actuel de l’aide au développement aux pays économiquement arriérés. Cette aide, telle qu’elle a été conçue et organisée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, n’est, en réalité, dans l’opinion de Tibor Mende, que la manifestation d’une sorte de néo-colonialisme. Tout se passe en effet comme s’il ne s’agissait que de procurer aux pays riches de nombreux et substantiels avantages d’ordre commercial, politique et stratégique. Toute la première partie du livre est consacrée à une démonstration de cette thèse. L’argumentation de l’auteur est extrêmement serrée ; elle ne laisse rien dans l’ombre ; elle s’appuie sur des chiffres certains et connus ; elle dévoile toutes les astuces qui permettent, à ce qu’il appelle cruellement « l’establishment » du développement ou « les mercenaires du statu quo », d’abuser les opinions publiques dans les pays assistés comme dans les pays dispensateurs de l’aide. Il nous amène ainsi, peu à peu, à nous demander si la meilleure façon pour les pays riches, de favoriser une amélioration réelle du sort des pays pauvres ne serait pas de renoncer aux avantages et aux profits de l’aide traditionnelle. On inciterait ainsi les pays du Tiers-Monde à chercher eux-mêmes et en eux-mêmes, au prix d’efforts courageux et de dures privations, les voies d’un épanouissement spécifique, plus fructueux à la longue que l’imitation des modèles étrangers qui leur sont imposés.
Mais Tibor Mende reconnaît que cette sorte de « quarantaine volontaire » n’est pas au niveau du courage de la grande majorité des pays demandeurs d’aide. Si elle se matérialisait néanmoins, l’équilibre mondial risquerait d’en être sérieusement compromis. Il est donc plus réaliste et plus conforme à la nature des choses de chercher à nuancer les remèdes. Mais il s’agirait alors d’une révision fondamentale – déchirante pour le plus grand nombre – des principes politiques qui régissent les rapports économiques et sociaux dans le monde. Dans la seconde partie de son livre l’auteur examine un à un les obstacles qui obstruent cette voie du salut. Il ne semble pas que son déblaiement puisse être sérieusement entrepris par notre génération, trop inhibée par les complexes de la société de consommation qu’elle a créée et dont elle reste l’artisan. Peut-être cette tâche pourra-t-elle être entreprise par une jeunesse plus éprise d’égalité et de justice et qui attache plus d’importance que ses prédécesseurs à la qualité de la vie.
Ce résumé des principales idées de Tibor Mende n’est certes pas suffisant pour apprécier à sa juste valeur l’impact que ne peut manquer d’avoir son livre. Son principal intérêt se trouve dans une quantité de détails, d’explications, d’observations et de jugements qui étayent son raisonnement ; dans la clarté de l’exposition d’un sujet immense et difficile ; dans la sincérité et la conviction qui l’animent. ♦