L’homme informatifié
En moins de vingt ans, le progrès a réduit dans d’incroyables proportions les délais alloués aux hommes pour réagir aux sollicitations pressantes et multiples du monde extérieur. Fort heureusement, dans le même temps, a été mis au point un ensemble technique permettant à ceux qui ont le pouvoir de décision de manipuler en des délais records des quantités considérables d’informations et de leur faire subir des traitements très élaborés. Mais « l’amplificateur de puissance » ainsi mis en place n’est qu’un des éléments fondamentaux de l’Informatique.
Dans un langage précis, dépouillé de tout jargon scientifique, avec une lucidité sereine et qui ne manque pas d’humour, Raymond Moch situe l’homme face à la machine qu’il a inventée pour le servir et qui ne fait en définitive que ce qu’il veut bien qu’elle fasse. Car l’homme, « l’homme informatifié », est plus en cause dans ce livre que l’ordinateur et son environnement. « Il sera libéré, nous dit l’auteur, des servitudes du travail machinal » qu’il soit manuel ou de l’esprit. Certes son adaptation sera douloureuse, mais tout donne à penser qu’au bout du compte elle sera bénéfique.
En revanche, les difficultés naîtront là où aucun impératif technologique n’impose la concentration, non du fait de l’informatique, instrument logique confié à des cerveaux qui se piquent de l’être, mais par la faute de ses « prêtres » dont la volonté de pouvoir risque de ternir la « lucidité ». Le risque est plus grand encore dans le secteur de l’administration où le progrès technique a été pratiquement ignoré. En effet, introduire un ordinateur et de l’informatique dans une entreprise figée dans ses organigrammes et son fonctionnement serait « alourdir cette entreprise et caricaturer l’informatique ».
Raymond Moch envisage les altérations que ces machines et leurs équipages apporteront aux structures économiques et politiques, les distorsions du pouvoir théorique ou effectif auxquelles il faut nous préparer. Se refusant à toute logomachie, il conclut en essayant de donner à l’informatique non une définition – l’informatique n’a pas besoin d’être définie – mais une place dans l’humain. « Il s’agit simplement, dit-il, de savoir ce que l’homme est capable de faire de ce nouvel outil de puissance qu’il s’est donné sans que cela ne change en rien d’ailleurs ses relations avec les divinités. »
Démystification de l’informatique… peut-être, mais surtout mise en garde de l’homme pensant dont on ne veut pas croire qu’il puisse un jour être l’esclave de sa création. ♦