L’Europe devant le Tiers-Monde
Il ne s’agit pas d’un ouvrage de vulgarisation. Henri Perroy ne s’adresse pas au grand public. Pour suivre le développement de sa pensée, il faut déjà avoir acquis une sérieuse spécialisation en matière d’économie internationale ou, pour le moins, ne pas être rebuté par l’effort nécessaire pour maîtriser en compagnie de l’auteur les statistiques et les tableaux les plus complexes relatifs au commerce, à la production et aux investissements dans le monde. Plutôt qu’une lecture, c’est l’étude d’un dossier qui nous est en fait proposée.
Mais c’est un dossier passionnant. Le lecteur, s’il est frustré d’une détente, découvre en revanche sur le chemin difficile tracé par l’auteur des points de vue insoupçonnés sur des problèmes dont on entend beaucoup parler, mais dont on réalise peu, en général, toute l’ampleur et la véritable importance.
Il s’agit des relations des pays groupés au sein de la Communauté économique européenne et de cette CEE en tant que groupe, avec les pays du Tiers-Monde. Ces relations ont théoriquement pour but le développement, au sens le plus large du terme, de l’ensemble des pays intéressés. La réalité est malheureusement, pour le moment du moins, tout autre. Les égoïsmes nationaux ont la vue courte. Si nous n’y prenons garde, le développement recherché, surtout en matière économique et sociale, mais aussi dans le domaine culturel, ne profitera bientôt plus qu’aux seuls pays européens, le Tiers-Monde, suivant la forte expression de l’auteur, partant à la dérive. Sa main-d’œuvre ne sera même plus exploitée ; elle sera devenue inexploitable ; la force de travail qu’elle représente ne vaudra pas la peine qu’on l’emploie, même à un salaire de famine.
Une telle évolution est pleine de menaces pour l’avenir, et pas seulement pour des raisons humanitaires ou morales. Le véritable intérêt de tous est de créer dans le monde des conditions qui auraient quelques chances de déboucher partout sur le plein-emploi et la libération des échanges. La CEE en tant qu’entité pourrait jouer dans ce sens un rôle de premier plan.
Pour défendre cette thèse, Henri Perroy fait appel à toutes les ressources de l’analyse économique la plus rigoureuse. Mais presque autant que de chiffres et de statistiques, son livre foisonne d’observations et de remarques personnelles très fines, de rapprochements inattendus et de révélations troublantes, le tout sans aucun esprit de polémique et parfois même avec un certain humour.
Cette approche humaine autant que scientifique des problèmes économiques les plus ardus pourrait être donnée en exemple à beaucoup de nos technocrates. ♦