La contre-insurrection et la guerre révolutionnaire
En refermant le livre de Pablo Torres, on est étonné que cet ouvrage ait trouvé un éditeur, en France, et en 1971. Depuis bien des années la guerre révolutionnaire n’est apparemment plus une préoccupation majeure du Français, comme elle a pu l’être aux époques du Vietnam et de l’Algérie. Le lecteur, s’il s’intéresse encore à ces événements, risque en outre, dans le cas particulier, d’être rebuté par trop de détails et trop de minutie dans certaines descriptions, comme celle de l’Équipement pour 40 guérilleros, véritable « Tableau de dotation » où rien ne manque depuis les 5 mitraillettes Madsen 9 mm jusqu’aux allumettes placées dans des sachets de plastique et les deux brosses à dents individuelles, ou encore par l’énumération fastidieuse et exhaustive de toutes les manœuvres, de toutes les attitudes et de tous les procédés d’instruction que doit connaître le parfait guérillero. Tout ceci ne serait-il pas mieux à sa place dans un Bulletin de Renseignement du 2e Bureau ou dans une Directive d’état-major, à la rigueur dans un cours d’École de Guerre ? Quel autre public, qui ne soit pas spécialisé, comptait-on donc toucher ?
À la réflexion cependant, connaissant le dynamisme très « in » des jeunes Éditions de L’Herne, on devine ce qui en est, et on se dit que ce livre, après tout, part peut-être gagnant. Il plaira, croyons-nous, aux jeunes, c’est-à-dire à tous ceux – qu’ils soient ou non étiquetés gauchistes – pour qui, dans l’ambiance étouffante d’une société de consommation, la guerre révolutionnaire en Amérique latine apparaît comme une des rares aventures valant encore la peine d’être vécue et qui croient que Che Guevara, dont un poster énorme décore sans doute leur chambre à la Cité universitaire, peut être rangé parmi les plus nobles héros de l’humanité.
Ce public – plus nombreux qu’on ne le pense – sera intéressé par les précisions techniques du « manuel » de Pablo Torres, parce que les jeunes imaginations sont plus sûrement stimulées par des données concrètes, que par des abstractions. Ce public sera également sensible à un certain romantisme de l’action et au vocabulaire correspondant, en découvrant par exemple, que pour les guérilleros, « la défense active commence sur le sentier », mais que la prise du sentier doit être précédée par une phase de survivance armée.
La stratégie n’est pas pour autant absente de l’ouvrage. L’auteur dans ce domaine cite volontiers – et souvent avec bonheur – l’orfèvre en la matière qu’est Mao Tsé-Toung. Mais les réflexions personnelles, tirées d’une expérience très complète acquise sur le terrain, ne manquent pas non plus et sont certainement à retenir pour qui veut acquérir une connaissance complète du sujet.
Le livre, malheureusement, n’est pas très bien écrit. Le plan manque de rigueur. Les idées se chevauchent d’un chapitre à l’autre et s’embrouillent parfois. La lecture n’en est pas facilitée. ♦