Au service du général de Gaulle
Ce premier volume des Mémoires d’hier et de demain par un des tout premiers compagnons du général de Gaulle – de surcroît homme politique très actif, qui a joué un rôle de premier plan au cours de la décennie écoulée – ne se laisse pas aisément rattacher à un genre littéraire bien défini. S’il s’agit de mémoires – mais, à cet égard, que veut donc dire de demain ? – leur conception est assez déroutante. Le propos de l’auteur ne paraît pas être de « se raconter », ni de « se situer » (sauf accessoirement) par rapport aux événements auxquels il a pris part. Il n’ambitionne pas plus la qualification de chroniqueur de notre temps puisqu’il ne ménage, à dessein, aucune continuité dans son récit. Ce sont évidemment des épisodes. Les cinq premiers évoqués (1) n’ont d’autre lien entre eux que de marquer, selon l’optique de l’auteur, des « tournants de l’histoire », par opposition à d’autres épisodes (qu’il réserve pour le volume suivant) et qui n’auraient pas ce même caractère irréversible attribué aux premiers.
Christian Fouchet estime – et il est difficile de ne pas être de son avis – qu’à chacun de ces tournants le général de Gaulle a imprimé la marque de sa personnalité exceptionnelle. Mais il évite, sauf incidemment, de mettre le Général directement en scène. L’action déterminante de celui-ci apparaît plutôt en filigrane, en ce sens qu’elle donne à l’épisode toute sa valeur sans être pour autant immédiatement perceptible. L’auteur n’a manifestement pas voulu contribuer au récent foisonnement des « révélations » du genre « De Gaulle m’a dit… ». Il a délibérément banni l’anecdote. Le récit peut ainsi gagner de la hauteur.
En ce qui concerne le rôle propre de Christian Fouchet dans tous ces événements, il apparaît à travers son livre comme tout le contraire d’un technocrate, bien que sachant par moments en prendre la manière et le ton. Il ne veut pas, non plus, être pris pour un homme politique, bien qu’il en manifeste souvent les habiletés. Il a participé aux événements avec passion, mais non, semble-t-il, sans un certain détachement un peu hautain, tout en évitant d’être pris pour un sceptique. Sa foi en l’action paraît entière, ainsi que son amour du combat pour le combat lui-même.
C’est dans cette philosophie teintée d’une certaine dose d’épicurisme qu’il faut sans doute chercher la leçon de ce livre, assez attachant comme tout témoignage sincère. ♦
(1) Londres 1940 ; Varsovie 1945 ; le « plan Fouchet » ; Alger 1962 ; Mai 1968.