Les combattants du crépuscule
Histoire encore mal connue que celle de l’Organisation armée secrète (OAS) ; des études existantes, beaucoup ont été faites trop tôt ou par des hommes qui, d’un côté ou de l’autre, furent acteurs de cette dernière guerre civile qu’ait connue la France.
Paul Hénissart, journaliste américain, analyse d’un œil neutre la lutte sans merci où, du putsch des généraux d’avril 1961 jusqu’à l’exode des Européens d’Algérie en juin 1962, s’affrontèrent l’OAS et le gouvernement français. Désireux d’interviewer les personnalités des trois protagonistes – OAS, FLN et gouvernement – il a retrouvé dans leur exil les chefs survivants de l’Organisation. L’ironie a voulu qu’il termine son manuscrit au moment où, l’amnistie proclamée, ils revenaient tous ou presque en France. Toujours est-il qu’ils lui ont parlé et que c’est minutieusement qu’il a reconstitué l’histoire de l’OAS, qui est celle aussi de la dernière année de l’Algérie française.
Plutôt récit qu’essai politique, l’ouvrage de Paul Hénissart rassemble les qualités des deux genres. Le récit est passionnant, reconstituant dans ses détails les plus méconnus le combat acharné des derniers défenseurs de l’Algérie française. Un récit enrichi du portrait des hommes qui firent l’OAS : Salan, le « chinois », toujours indécis, trop méthodique et trop prudent pour agir comme un vrai chef rebelle ; Susini, le Saint-Just de l’équipe, le théoricien qui espérait une levée des masses pieds-noirs et la réalisation de réformes sociales sous la souveraineté française maintenue ; Pérez, le docteur, qui voyait la lutte algérienne comme une bataille entre la chrétienté et le communisme ; Godard, enfin, le colonel, qui ne pensait qu’en termes militaires. Un triumvirat qui, sous l’autorité acceptée de Salan, était perpétuellement divisé ; cette division rendait impossible l’adoption d’une doctrine politique et faisait de l’OAS un amalgame d’idées contradictoires ne se mettant d’accord que sur le but : sauvegarder la souveraineté française. Et puis le sinistre Degueldre, qui personnifiait les moyens employés par l’Organisation pour atteindre ce but, avec ses tueurs des commandos Delta qui firent de l’Algérie une terre sanglante, une terre maudite.
Essai politique, aussi, qui cherche la cause de l’échec d’un combat de quatorze mois pour préserver le dernier grand territoire de l’Empire français : échec dû en partie à l’improvisation, à l’apolitisme de ce combat, au manque de discipline et aux querelles internes incessantes au sein de l’OAS. Échec dû aussi à la stratégie adoptée, Salan espérant toujours acquérir le soutien du corps des officiers de l’armée d’Algérie alors que celui-ci avait refusé dans l’ensemble de le suivre en avril 1961, Susini pensant à tort que les Pieds-noirs étaient prêts à se battre jusqu’au bout tandis qu’on ne leur donnait ni un commandement adéquat ni l’exemple de la combativité. Échec dû enfin au sang-froid et à la discipline prodigieuse des Algériens qui surent résister aux incroyables provocations de l’OAS alors que celle-ci, par la terreur qu’elle instaura à Alger en mars 1962, pensait pouvoir les déchaîner et amener ainsi à une rupture du cessez-le-feu.
Livre passionnant, d’une rare objectivité, qui dévoile les dessous de cette bataille de l’OAS, une bataille perdue d’avance et qui, au lieu de la « bataille pour l’honneur », comme l’a définie l’un de ses responsables, sombra bien vite dans le sadisme et le sang. ♦