Le Vatican et les pays de l’Est
Des dizaines de millions de catholiques de l’Est européen vivent depuis 1945 dans des États à direction communiste, tandis que dans le monde occidental s’affrontent les idéologies chrétienne et marxiste. De cette double expérience, l’auteur de l’ouvrage, l’essayiste autrichien Wilfried Daim, qui se dit militant du catholicisme de gauche, fait un bilan conforme à ses idées personnelles et en tire pour l’avenir des conclusions qui paraîtront à beaucoup pour le moins hâtives et risquées. Mais il est intéressant de voir définir sur ce vaste sujet une attitude qui secoue fortement les positions, incontestablement aujourd’hui dépassées, de beaucoup de chrétiens qui s’en tiennent encore aux mythes trop commodes de « l’Église du silence », même si certaines schématisations, qu’elles touchent le passé ou le futur, ne semblent pas toujours suffisamment fondées.
L’auteur justifie d’abord le droit pour le Saint-Siège de faire de la politique en disant que si le Christ avait proclamé que son Royaume n’était pas de ce monde, lui-même avait déjà agi politiquement dans son temps. D’essence plébéienne, le christianisme avait inquiété les dirigeants romains. Les systèmes existants – le pouvoir établi – peuvent donc ne pas être considérés comme « donnés par Dieu ». Mais par la suite la politique vaticane est demeurée une combinaison de l’universalisme chrétien et de l’impérialisme romain, et il a fallu, dit l’auteur, attendre Jean XXIII (1881-1958-1963) pour en déloger l’esprit de ce dernier. Toutefois, si le Concile [de Vatican II] a apporté une libéralisation, il ne l’a pas suffisamment institutionnalisée. Si l’Église admettait une plus grande liberté, les catholiques seraient peut-être moins nombreux, mais plus attachés à leur dignité d’hommes.
Mais l’Église qui, par tradition, assure Wilfried Daim, dissimule souvent longtemps ses changements d’orientation pour ne pas heurter brutalement les forces hostiles à ceux-ci, n’a-t-elle pas déjà commencé une évolution dans ce sens ? Léon XIII (1810-1878-1903) avait dû amorcer le ralliement à la République. Un autre pas n’est-il pas en cours vers la coexistence organisée avec des régimes marxistes, comportant les habituelles phases intermédiaires : tolérance, neutralité, dialogue, bienveillance ? Sans doute serait-il vraiment temps, dit encore l’auteur, que les régimes communistes abandonnent définitivement leur point de vue « conservateur » sur la nécessaire lutte contre la religion, et il assure que des signes existent qu’on y est maintenant engagé dans la vie de la liberté de l’esprit, que le processus s’accélérera lorsque les intellectuels seront aussi informés sur les problèmes théologiques que le sont les communistes occidentaux. Une étroite entente entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe, que Wilfried Daim semble considérer comme probable et prochaine, servirait efficacement le rapprochement entre Rome et Moscou, permettant de résoudre plus facilement de nombreux problèmes : Églises orientales, frontières allemandes, situation en Amérique latine, désarmement… En intégrant l’Église orthodoxe, Rome atteindrait un objectif longtemps visé et l’Église catholique pourrait mieux s’implanter dans le monde communiste, lui-même assuré de l’avenir.
Bien entendu, l’auteur cite tous les faits favorables à ses conceptions : renonciation du Concile à condamner le communisme pour pouvoir accueillir les représentants de l’Église orthodoxe, réception par Jean XXIII et Paul VI de hautes personnalités du monde communiste, voyages de Mgr Casaroli dans les démocraties populaires et à Moscou. Mais la prudence même de ces contacts ne témoigne-t-elle pas d’une politique qui, pour Rome comme pour Moscou, reste bien en deçà des perspectives que l’auteur voudrait laisser prévoir ?
La seconde partie de l’ouvrage est plus spécialement consacrée aux démocraties populaires. Wilfried Daim dénonce dans le cardinal Wyszinski, qui voit dans tout évêque orthodoxe une créature du Kremlin, un saboteur de la politique vaticane à l’Est. Il approuve en Tchécoslovaquie, contre Mgr Beran, la politique de coopération étroite, avec le régime, de l’abbé Plojhar. Il suggère que le Vatican, pour faciliter l’établissement du nouveau cours, reconnaisse de facto la République démocratique allemande (RDA) en y créant par exemple une maison d’éditions religieuses. La thèse de l’impossibilité de la coexistence idéologique sera tôt ou tard rejetée « comme l’étrange produit d’une imagination aberrante ». Et l’auteur est visiblement convaincu de l’accélération de l’histoire. ♦