La Chine et le Tiers-Monde
L’excellente « Bibliothèque historique » de Payot vient de s’enrichir d’un nouvel ouvrage consacré à un vaste et important sujet – La Chine et le Tiers-Monde – qui revient souvent dans les conversations ou dans les articles de presse, mais qui est au fond assez mal connu. Ce reproche ne devrait plus désormais s’adresser à ceux qui auront eu le goût et le loisir de lire attentivement l’étude de Philippe Richer, chargé de cours à l’Institut d’études politiques (IEP) de l’Université de Grenoble. L’auteur possède sur le sujet traité une information qui frappe par son étendue. Il a dépouillé, analysé et interprété un nombre impressionnant de documents. Chronologie, bibliographie, notes et index, rassemblés en fin de volume, facilitent les recherches et font de cet ouvrage un outil scientifique de grande qualité.
Il est possible – et même probable – que l’auteur n’ait pas eu d’autre ambition que de faire un ouvrage de référence.
En effet, il manquait, et pour cause, du recul nécessaire pour traiter son sujet en historien. Les rapports de la Chine avec le Tiers-Monde sont encore en pleine évolution. Les premières démarches datent d’une vingtaine d’années, tout au plus. Depuis, le pragmatisme bien connu des Chinois a entraîné de nouvelles orientations, imprévisibles au départ. Celles-ci, à leur tour, ne sont pas définitives. Autrement dit, le processus historique ne peut encore être appréhendé dans son ensemble, comme formant un tout achevé. Il ne peut qu’être jalonné de repères, et seulement dans le début de son déroulement. C’est ce que Philippe Richer a voulu faire et il y a très bien réussi.
Il s’est heurté, dans ce travail, à une série de difficultés inhérentes à la Chine et au sujet.
La documentation sur laquelle il a travaillé, la seule disponible, est essentiellement constituée par des discours et des déclarations publiques. Il est toujours difficile dans ce genre de documents de faire le départ entre la propagande, les intentions réelles et les arrière-pensées. Lorsque ces documents émanent de dirigeants du monde communiste, quelle que soit leur nationalité, la difficulté augmente du fait de l’emploi d’une terminologie très particulière qui, en Occident, n’est vraiment connue que des seuls spécialistes.
D’autre part, il faut toujours soigneusement distinguer, dans ce monde communiste, entre les deux filières – celle du Parti et celle de l’État – qui servent, dans ces pays, à l’acheminement des décisions. Elles se confondent parfois, mais peuvent aussi diverger. Des vannes placées sur le parcours permettent des interconnexions. Telle idée politique qui est d’abord exportée sous le couvert du Parti, se trouve un beau jour intégrée dans le système diplomatique d’un État. Et vice-versa. Bien des erreurs d’appréciation en Occident n’ont pas d’autre origine.
À travers tous ces écueils, Philippe Richer navigue avec sûreté. De l’aridité et de la monotonie des documents, il arrive souvent à tirer des récits vivants, mouvementés et pittoresques. Il en est ainsi de divers épisodes de la concurrence idéologique effrénée et peu amène à laquelle se livrent, depuis le schisme, la Chine et l’URSS auprès de leurs clients traditionnels. Et aussi, des séductions et cajoleries prodiguées par Chou En Laï aux pays afro-asiatiques lors de la conférence de Bandoeng (1955), ou, des amères déceptions causées aux dirigeants chinois par les choix prosoviétiques de Fidel Castro.
La conclusion – toute provisoire, puisqu’il s’agit d’une expérience en cours – de Philippe Richer est très intéressante. Il estime que les moyens nombreux et subtils mis en œuvre par la Chine ont contribué à accélérer certains bouleversements. Mais « en dépit des troubles dans lesquels une partie du Tiers-Monde est plongée, le modèle chinois n’a pas eu d’émules… Parmi les États qui sont ou ont été liés à la Chine par des traités d’amitié en bonne et due forme, aucun n’a pris la “voie chinoise” ». N’étaient-ils pas « excédés d’être pris pour caisse de résonance de la querelle sino-soviétique ? »
Quoi qu’il en soit, il paraît probable que les déboires passés amèneront la Chine à limiter quelque peu ses ambitions. Déçue en Afrique et en Amérique latine elle donnera sans doute à l’avenir la priorité à l’Asie, et spécialement au Vietnam, puis à la Palestine.
Questions à suivre, comme dit le chroniqueur de la télévision. ♦