Traitez à tout prix… Leclerc et le Viet-Nam
L’histoire des tout premiers mois de la « guerre d’Indochine », en fin 1945 et en 1946, s’estompe peut-être déjà dans le souvenir, tant les événements se sont accumulés depuis lors dans cette partie du monde. Le général Fonde était alors chef de bataillon ; après avoir combattu en France et en Allemagne dans les rangs de la 2e DB – comme il l’a raconté dans un livre dont nous avons rendu compte ici, J’ai vu une meute de loups – il part en Indochine en qualité de chef d’état-major du Groupement Massu, issu de la 2e DB. En cette qualité, mais aussi comme commandant d’unité combattante, il participe à la réoccupation par les forces françaises des principaux centres de Cochinchine et du Sud-Annam. Puis il devient, au Tonkin, le chef de la mission militaire chargée de faire appliquer, en accord avec les autorités vietnamiennes correspondantes, les clauses de l’accord intervenu après le débarquement des forces françaises à Haïphong, en mars 1946.
Ce sont les souvenirs d’une époque particulièrement fertile en incidents, mais aussi singulièrement marquée par les incertitudes de la politique locale, nationale et internationale, que le général Fonde a entrepris de relater, en s’aidant des notes qu’il prit au jour le jour et qui lui permettent de reconstituer sans erreur les faits dans leurs moindres détails. On lira avec le plus grand intérêt le récit anecdotique d’une suite d’opérations qui s’inscrivaient dans une sorte de nouvelle « drôle de guerre », qui n’était certes pas la paix, mais pas davantage la guerre véritable et implacable qui devait s’instaurer après décembre 1946 sur toute l’étendue de l’Indochine. Mais au-delà de l’anecdote, la thèse, s’appuyant sur un témoignage d’acteur direct, mérite encore davantage d’attention. En effet, le général Fonde veut démontrer que le général Leclerc avait indiqué, dès qu’il eût pris contact avec le pays et les gens, que la seule solution était de négocier avec les dirigeants Viet-Minh ; le titre de l’ouvrage est, à cet égard, particulièrement bien choisi. Mais il montre aussi combien, dès que les espoirs d’une négociation directe s’évanouirent, le régime de Ho Chi Minh se montra dictatorial, implacable, inhumain, en déclenchant un terrorisme sans pitié contre ses adversaires internes et contre les Français ; il montre, par ailleurs, à quel point l’engrenage qui devait conduire à la guerre véritable fut imputable aux atermoiements, aux hésitations, aux changements des hommes politiques français, et non aux militaires qui, sur place, subissaient une situation difficile et tentaient de la maîtriser, sans y parvenir, faute de moyens suffisants et de directives précises.
C’est un chapitre d’histoire pratiquement oublié. Il était bon qu’un témoin en rappelât l’ambiance et les événements. ♦