Le vote par le Sénat américain, le 13 juillet, des crédits destinés à la production de la bombe à neutrons a suscité aux États-Unis et en Europe des réactions contradictoires et passionnées (voir notre chronique « Défense dans le monde » dans notre numéro de novembre). D'aucuns ont vu dans cette arme – dont l'auteur rappelle l'origine, il y a 20 ans – un danger d'effacement du seuil qui sépare les armes nucléaires des armes conventionnelles et un pas de plus vers le risque d'apocalypse. Pour l'auteur, au contraire, de telles armes en favorisant le défenseur et en pénalisant l'assaillant, même blindé, sont de nature à permettre une défense nucléaire tactique avancée infranchissable par des moyens terrestres.
Inclure dans une nouvelle stratégie de défense de l'Europe la bombe à neutrons renforcerait, selon lui, la dissuasion parce qu'elle garantirait l'échec de l'agresseur et lui transférerait la responsabilité de l'escalade stratégique fatale. L'élimination du recours en premier à la stratégie anti-cités rendrait à la dissuasion toute sa crédibilité. En liaison avec des chercheurs et savants américains défendant les mêmes idées, l'auteur suit depuis longtemps ces problèmes nucléaires. Les points de vue qu'il exprime ici ne sont conformes ni à la doctrine officielle américaine ni à la doctrine stratégique française. Mais rien n'interdit de réfléchir aux perspectives nouvelles qu'offrirait ci notre stratégie la bombe ci neutrons pour le cas où il s'avérerait que, techniquement et financièrement, nous sommes en mesure de nous en doter.
Il y a vingt ans, en été 1957, le général Eisenhower, entouré de ses principaux collaborateurs, recevait trois savants américains dont Edward Teller (le « père de la bombe H »). Ils venaient expliquer au Président des États-Unis les perspectives ouvertes par leurs récentes découvertes dans le domaine des explosions nucléaires. Le général et l’assistance en furent vivement impressionnés. Et John Foster Dulles, secrétaire d’État, en tira la conclusion : « L’imagination de ceux qui servent notre nation dans le domaine de la science et du développement des armements montre qu’il est désormais possible d’altérer le caractère des armes nucléaires. Il semble aujourd’hui que leur emploi n’implique plus des destructions considérables et une catastrophe pour l’humanité ». Il s’agissait de la « bombe à neutrons ».
Vingt ans après, le projet qui a donné lieu à de nombreux débats et dont l’un de ses principaux protagonistes, Samuel T. Cohen, a rendu compte dans la presse américaine (1), a été accepté par le Président Carier qui a enfin pris la décision de doter les forces américaines de ce type d’armes, après que le « Senate Appropriation Commitee » ait approuvé, par un vote des plus serrés (10 voix pour, 10 voix contre), cette idée qu’il avait toujours rejetée. La retraite du sénateur Stuart Symington, adversaire farouche de l’armement nucléaire lactique et qui présidait cette Commission, a permis, après deux décennies, l’acceptation d’une percée technologique dont les conséquences pourraient être considérables pour la défense de l’Europe, la dissuasion et la paix.