Les vies secrètes de Lawrence d’Arabie
De toutes les vies hors-série, celle de Lawrence est sans doute une des plus étranges. L’abondance des biographies ne peut éclairer tous les mystères dont elle s’entoure et ne parvient pas à supprimer les dernières traces de légende. Lawrence, né dans une famille irrégulièrement constituée, cependant solidement unie, se passionne dès sa jeunesse pour l’ethnographie. Les services de renseignement ont toujours utilisé les expéditions scientifiques pour mener des enquêtes en profondeur ; le jeune Lawrence est ainsi enrôlé dans la recherche du renseignement au Moyen-Orient. Il y apporte le sens de la grandeur de l’Angleterre et l’ambition de la servir en créant un « dominion brun » qui s’étendrait à l’ensemble des pays arabes. En corollaire, il a une haine tenace et passionnelle de la France et de tout ce qui est Français. C’est alors que les circonstances lui permettent de jouer un rôle remarquable en Arabie et en Syrie, rôle que les auteurs ramènent à ses dimensions historiques, dépouillent de sa légende, mais qui est largement suffisant, dans ces nouvelles dimensions, pour assurer la gloire d’un homme. Jusque-là, malgré quelques obscurités quant aux détails de certaines de ses actions et de ses entreprises, rien qui ne puisse recevoir une explication rationnelle.
À la conférence de la paix, en 1919, son rêve échoue cependant. Et Lawrence traverse une crise de dépression, elle encore explicable. Il s’engage comme simple soldat – alors qu’il avait le grade de colonel – dans la Royal Air Force (RAF), puis dans les chars, enfin de nouveau dans la RAF. Après cinq ans passés à nouer ou dénouer les intrigues les plus complexes du Moyen-Orient, quinze années de service, au rang le plus humble, s’écoulent. Mais le 2e classe Ross, ou Shaw, ne s’est pas retiré dans l’Armée comme on s’enlise dans un couvent. Il continue d’écrire aux plus hautes personnalités et d’avoir une activité intense ; il critique les règlements, la conception même de la défense nationale, du poste d’observation qu’il a si bizarrement choisi. Et ses correspondants l’écoutent. Enfin, il est libéré, et meurt d’un banal accident de la route, auxquels certains ne croient pas encore.
Pourquoi cette opposition entre ces deux existences ? Les auteurs développent la thèse qu’elle a pour origine un incident intime et personnel, dont Lawrence aurait été la victime en Syrie, incident qui aurait libéré en lui des tendances anormales latentes d’homosexualité et de masochisme. L’explication, quelle que soit sa nature psychanalytique, ne semble être que partielle et reste assez peu convaincante.
Quoi qu’il en soit, cet ouvrage retrace avec clarté les tout premiers débuts de la formation des États arabes du Moyen-Orient, et de la Palestine. Il permet de comprendre bien des aspects lointains, mais toujours actuels, de la crise qui, présentement, continue d’opposer Juifs et Arabes d’une part, Arabes entre eux de l’autre. Au-delà de la vie de Lawrence et de ses mystères, c’est un sujet digne d’intérêt. ♦