Mao
L’album de photographies peut être une forme moderne de l’ancienne image d’Épinal ; les commentaires qui accompagnent les illustrations n’ont plus la naïveté d’autrefois. Mais l’impression sur le lecteur demeure de même nature. En lisant ou plutôt en regardant ce livre, cet album, on ressent une sorte de vertige : la représentation de la masse, du grouillement humain en est une des causes ; celle des massacres et des tortures, une autre ; celle des visages, souriants et durs à la fois, en tout cas énigmatiques, une troisième. Le texte très court accompagne l’image plus qu’elle ne l’explique ou la commente ; elle permet de repérer le temps et l’époque dans une continuité qui stupéfie un esprit occidental.
L’ouvrage de Lucien Bodard est intéressant par sa nature, par sa valeur visuelle qui remplace l’analyse d’un texte écrit. L’accumulation des images produit un effet, volontairement sans doute recherché par l’auteur, qui est beaucoup plus fort que le commentaire. En tournant la dernière page, le lecteur est mieux convaincu qu’il ne le serait par une démonstration argumentée, de l’impossibilité de diagnostiquer actuellement quel sera le destin de la Chine et d’une large partie du monde après la mort de Mao. Les illustrations soulignent mieux que des mots le phénomène chinois, sa nouveauté dans un monde que nous nous efforçons de croire et de rendre rationnel, ainsi que la menace mal définie qu’il fait peser sur nous.
Image d’Épinal, disions-nous ; tapisserie de Bayeux tout autant. En tout cas, une forme d’expression qui mérite d’être notée, bien qu’elle ne se suffise pas à elle-même et qu’elle ait un caractère impressionniste beaucoup plus que démonstratif. ♦